Dany Laferrière : Le pouvoir des mots
Livres

Dany Laferrière : Le pouvoir des mots

Président d’honneur du 23e Salon du livre de Trois-Rivières, Dany Laferrière se replonge dans le contexte d’écriture de Tout bouge autour de moi, témoignage nécessaire sur le récent séisme haïtien.

Port-au-Prince, 12 janvier 2010. Dany Laferrière est attablé au restaurant de l’hôtel Karibe quand la terre se met à trembler. Une quarantaine de secondes au parfum de fin du monde. Il voit les gens fuir, le béton s’effondrer, les corps le long des routes. Plus tard, plusieurs éditeurs lui proposent d’écrire sur le séisme. Chaque fois, il répond non. Malgré tout, Tout bouge autour de moi s’est retrouvé sur les tablettes en avril dernier. Serait-ce que quelqu’un a trouvé un argument persuasif? Pas tout à fait. C’est que, pour reprendre l’expression de l’auteur, ce manuscrit n’est pas un livre, mais son "intimité mise en mots".

Au départ, Tout bouge autour de moi ne devait nullement traiter de la catastrophe haïtienne. "J’écrivais des notes à l’usage d’un jeune écrivain. Un livre que je me promettais de faire depuis longtemps pour les très jeunes écrivains comme mon neveu, qui n’arrêtait pas de me demander des conseils. À la fin du livre, j’avais ajouté un chapitre sur ce qui m’était arrivé en 2010 pour témoigner de ça et pour montrer que de faire de la littérature avec une chose aussi horrible, c’est une manière de l’apprivoiser. Je voulais montrer aux jeunes écrivains l’immensité de l’affaire; qu’un séisme incontrôlable puisse se retrouver contrôlé par les lettres de l’alphabet. Et ça a dérapé. Ça a pris toute la place pour devenir le livre lui-même."

Bizarrement, bien que le Prix Médicis de 2009 ait ressenti chacune des secousses, une distance semble exister entre lui et son sujet. "L’affaire, c’est que si vous écrivez, vous n’êtes pas seul. Il y a quelqu’un de l’autre côté dont il faut tenir compte. Si l’écrivain veut que le lecteur reçoive une émotion, il doit lui-même tenir cette émotion à distance. Les mauvais conteurs sont ceux qui disent "J’ai une bonne histoire à vous raconter", et les mauvais écrivains sont ceux qui, après une scène tragique, écrivent "Je pleure". Il ne faut pas pleurer si on veut que le lecteur pleure. Il faut lui laisser, par courtoisie, l’espace de l’émotion", explique-t-il de sa voix du Sud. "Les gens là-bas sont dans une situation extrêmement difficile. Je ne pouvais pas dans cette condition-là m’interposer. Il fallait juste les montrer dans leur dignité."

Des femmes qui chantent dans les rues au lendemain de la tragédie, une petite marchande de mangues qui reprend son emploi du temps comme si rien ne s’était passé sont autant d’images fortes que l’écrivain, qui a grandi à Petit-Goâve, dévoile de ce peuple endeuillé. "Pendant la Seconde Guerre mondiale, les gens à l’intérieur des trains qui allaient vers les camps de concentration étaient les uns sur les autres, dans des conditions épouvantables. Et quand on les faisait descendre – on le voit sur des photos que les Allemands ont prises -, ils étaient presque souriants; ils étaient dehors sous le soleil. On ne peut pas résister au soleil, même dans un moment extrêmement difficile", raconte Laferrière avant d’ajouter avec assurance: "Elle est "intuable", la vie."

Tout bouge autour de moi
De Dany Laferrière
Ed. Mémoire d’encrier, 2010, 160 p.

ooo

Passeports imaginaires

Du 24 au 27 mars, à l’Hôtel Delta, le 23e Salon du livre de Trois-Rivières orchestrera ses activités autour du thème "Rêver d’ailleurs". Ainsi, on a difficilement résisté à l’envie de demander à son président d’honneur quelques titres de bouquins qui l’ont fait voyager. En bon politicien, Laferrière, qui a eu la piqûre des mots en observant son grand-père lire, a répondu: "Il y en a beaucoup… Je pense que ce qu’il y a de plus important que tel livre, c’est d’avoir le goût de lire. Quand je nomme un livre, il y a tout le temps quelqu’un qui essaye de le lire, et s’il ne l’aime pas, il est tout fâché contre moi. (Rires) Vous savez, c’est une zone extrêmement sensible, la lecture. Je préfère donc parler du goût de lire. Je crois que pour le reste, c’est la liberté des gens de trouver leur chemin dans la bibliothèque." www.sltr.qc.ca