Dominique Robert : Arrêts sur images
Sous forme de fragments inspirés de clichés photographiques, Chambre d’amis de Dominique Robert explore les ramifications liant quelques spécimens de notre faune urbaine.
Dans un Montréal mi-embourgeoisé, mi-paumé où la mort d’un mendiant n’offre rien d’autre qu’une image prégnante sur la rétine de quelques témoins, Juliette Ostiguy prépare une exposition de photographies dont la thématique inspirera une nouvelle oeuvre à l’écrivaine Catherine Lavoie. Celle-ci pourrait bien être Dominique Robert elle-même, poète québécoise qui signe avec Chambre d’amis un premier roman basé sur une proposition formelle d’autant plus emballante qu’elle s’exécute sans sacrifier au sens ni au propos.
Le projet de Robert peut d’abord rappeler celui qu’Annie Ernaux avait mené dans Les années, les dimensions autobiographique et historique en moins. Authentique fiction, Chambre d’amis se décline ainsi à la manière d’une série d’instantanés limités dans le temps (d’octobre 2008 à août 2010) et offerts en hommage à des photographes tels que Duane Michals, Diane Arbus, Raymonde April et Daido Moriyama. La structure tripartite du livre adopte par ailleurs celle de l’exposition en devenir de Juliette: "Mur gauche, petits formats en noir en blanc", "Mur du fond, grands formats en couleur", "Mur droit, petits formats en noir en blanc"…
Avec ses brefs chapitres aux allures de fragments, le livre offre une belle cohérence, différents personnages que rien ne lie au départ finissant tous par se croiser au cours de leurs trajectoires dans divers lieux publics ou de passage (routes, hôtels, bars, cafés, galeries d’art…), tandis que les quelques espaces privés que contient le livre, de la cour arrière d’un triplex à un loft d’artiste, servent eux-mêmes de lieux de rencontre. John, avocat; Joachino, dealer de drogue; Allison, épouse d’un chirurgien esthétique; Isa, enseignante éprise d’un de ses étudiants; Minh, jeune Asiatique qui fait l’escorte pour payer ses cours de coiffure… Tout ce petit monde loge à la même enseigne: celle d’une humanité en perte de repères.
Dominique Robert s’intéresse autant aux décors (minutieusement décrits) qu’à l’existence de ces destinées observées d’un oeil neutre ou ironique. Alors qu’elle feuillette un album photo présentant des cadavres de Rwandais après une nuit de boucherie, Juliette s’interroge par exemple sur les clients satisfaits de la boîte de nuit où elle se trouve, notant que "rien ne semble justifier leur présence ici, parmi les élus, plutôt que chez les damnés" et concluant que dans des circonstances moins heureuses, tous ces gens auraient bien pu se trouver sur les pages qu’elle est en train de tourner. La dimension philosophique du roman – ces contingences purement existentielles qui déterminent notre "place dans le monde" – se déploie ainsi en lien direct avec une réflexion sur l’image.
Chambre d’amis
de Dominique Robert
Les Herbes rouges, 2011, 158 p.