Don DeLillo : Point Oméga
Le plus récent DeLillo – Valparaiso, Cosmopolis, L’homme qui tombe – repose sur un concept, assez cérébral il faut le dire, qui en détermine et la structure et le ton. Point de départ: nous sommes dans l’une des salles du Musée d’art moderne de New York, où est projeté le film expérimental 24 Hour Psycho, du plasticien Douglas Gordon. L’oeuvre vidéo, bien réelle, présentée au MoMA durant l’été 2006, est en fait le Psycho d’Alfred Hitchcock au ralenti, étiré sur une période de très exactement 24 heures. Un homme vient jour après jour assister à la singulière projection. Il observe aussi les quelques visiteurs que leur curiosité a menés là, et qui pour la plupart repartent presque aussitôt. Lui reste jusqu’à la fermeture. «Cela le fascinait, les profondeurs qui devenaient possibles dans le ralenti du mouvement, les choses à voir, les profondeurs de choses si faciles à manquer dans l’habitude superficielle de voir.» Un bouquin froid, Point Oméga? Eh bien non, l’écrivain new-yorkais ayant plus d’un tour dans son sac. Page 25, on se retrouve complètement ailleurs, en plein désert, où vit reclus Elster, un intellectuel, spécialiste de la «loi de l’extinction» et anciennement employé du Pentagone. Un jeune cinéaste le rejoint là-bas pour le convaincre de tourner dans son film, un projet minimaliste qui montrerait l’ineptie du pouvoir et du commandement militaire. Leurs échanges composent une réflexion belle et désabusée sur le monde actuel, jusqu’à ce que l’histoire vire au similithriller quand la fille d’Elster, qui les a rejoints quelques jours plus tôt, disparaît. Une grande opération de recherche est déclenchée, Elster se transforme peu à peu en fantôme. On ne sait pas exactement où Don DeLillo s’en va, mais on s’y laisse volontiers guider tant le romancier sait y faire. Pas le plus grand de ses romans, mais une fascinante petite chose. Trad. par Marianne Véron. Éd. Actes Sud / Leméac, 2010, 144 p.