Michèle Plomer : Monstres sacrés
Michèle Plomer signe le premier volume d’une trilogie prometteuse dont l’imaginaire se nourrit au confluent des cultures québécoise, écossaise et chinoise.
En 1910, à Hong Kong, un modeste coolie nommé Li s’est vu doter par la nature d’un physique d’une rare perfection, faisant mouiller l’entrejambe tant des riches Blanches qui s’ennuient dans la haute ville que des commères chinoises qui attendent leur ration quotidienne de congee. Une beauté laissant présager le pire jusqu’au jour où, forcé de tuer un matelot pour défendre sa mère, Li se retrouve sous la protection de Dei Lung, "dragon de terre" et gardien de la ville qui, sous la forme habituelle d’une femme, "consacre son affection aux rares hommes de grande beauté qui naissent au hasard des siècles".
La filière historique et mythologique sied bien à Michèle Plomer dont la maîtrise de l’art romanesque se déploie dans ce premier tome réussi de Dragonville. Dans une narration alternée, l’âge d’or de Hong Kong où les Anglais se sont établis pour développer le lucratif trafic de l’opium nous est dépeint en parallèle avec un récit dont l’action se situe de nos jours dans une petite ville de l’Estrie. C’est là que, rentrant d’un long séjour en Chine, Sylvie décide d’ouvrir une boutique d’importations. Une surprise de taille l’y attend lorsque les murs de son local, dont on vient de retirer le plâtre, révèlent la présence d’anciens pictogrammes mandarins et la représentation d’un dragon à l’allure féminine…
Dans ce pays nordique où l’on croit encore au Memphré, monstre occupant le lac "depuis le temps des Indiens", ces vestiges graphiques ne peuvent être le fruit du hasard, pas plus que ne sont étrangères à l’histoire les racines familiales de Sylvie dont le grand-père écossais était originaire du fameux Loch Ness où loge un autre monstre, le Niseag. Le talent de l’écrivaine consistera à conjuguer ces différentes sources culturelles et légendaires pour en faire un récit prenant, aux multiples ramifications.
En plus de la troublante part de sensualité qui envahit ses pages (la passion qui liait Sylvie à son amant de Shenzhen rappelant l’amour que se vouaient le beau Li et le dragon), le roman de Michèle Plomer est parcouru d’un propos sur les rapports que l’homme entretient avec son territoire. Les remarques de la narratrice sur le village estrien où les chaînes de restauration insipides ont remplacé les demeures ancestrales correspondent ainsi aux préoccupations de Lung qui, pour protéger Hong Kong, doit se résoudre à freiner l’accroissement de sa population en se transformant en cataclysmes selon un cycle prévisible.
Avec sa fin ouverte et surprenante, Dragonville possède tous les ingrédients d’une saga à succès dont on espère une suite le plus rapidement possible.
Dragonville, tome 1: Porcelaine
de Michèle Plomer
Éd. Marchand de feuilles, 2011, 313 p.