Elizabeth Hay : Les soirs qui penchent
Il n’y a pas plus intime que la radio, rappelle Elizabeth Hay dans La nuit sur les ondes.
"Faire du temps": une expression appartenant autant au vernaculaire carcéral que radiophonique dont les significations, dans l’existence de Harry, se confondent. Tombé en disgrâce à Toronto après un passage raté à la télévision et une idylle avec la bouteille, l’animateur purge sa sentence à Yellowknife, derrière le micro qui avait lancé sa carrière. Mais voilà le pestiféré bientôt contraint de prendre les rênes de la station. Lui qui s’était résigné à égrainer les petites heures avec ses fidèles auditeurs…
Sous l’impulsion de ces nouvelles responsabilités, mais surtout de deux femmes de caractère, le roi déchu des ondes sortira peu à peu de sa torpeur. L’insaisissable Dido aguichera d’emblée le séducteur en lui: "Harry trouvait que sa voix ressemblait à une cuiller d’argent terni." La jeune naufragée Gwen, en qui le vieux loup devine une successeure sensible, réveillera pour sa part l’ambitieux, prêt à défendre le pouvoir des ondes hertziennes face aux assauts de l’écran cathodique.
À travers ses relations sentimentales aux contours flous, ses guerres d’ego et ses quêtes de rédemption, La nuit sur les ondes, d’Elizabeth Hay, pour la première fois traduite en français, révèle une romancière d’atmosphère attentive. Grâce à un style sobre et une vision nocturne parfaitement aiguisée, la Canadienne arrive à discerner, puis à rendre avec nuances, les motivations confuses de personnages qui avancent dans la noirceur, le pas mal assuré. Oppressante ou vivifiante, l’emprise de la nature sur ces prisonniers du Nord s’impose constamment, hiver rigoureux comme été clair. Le voyage en canoë qui occupe la dernière partie du livre constitue à cet égard un climax particulièrement envoûtant.
En transportant le lecteur en 1975, la lauréate du prix Giller 2007 rend un bel hommage à une forme d’animation intime, aujourd’hui presque obsolète, qui servait des fins plus nobles que la distribution de t-shirts ou d’opinions péremptoires. "La radio était comme de la poésie. À son mieux, c’était ce qu’elle pouvait être", prétend Harry. Le regretté Guy Mauffette, à qui les plus vieux songeront sans doute en "écoutant" la plume au charme suranné de Hay, aurait acquiescé.
La nuit sur les ondes
d’Elizabeth Hay
Trad. par Hélène Rioux
XYZ éditeur, 2011, 372 p.