Daniel Bélanger : La chanson de Vincent
On connaît et on aime le Daniel Bélanger qui sait faire swinguer les pianos et pleurer les guitares. Avec Auto-stop, c’est un chant sans musique qu’il fait entendre en jouant des mots et du papier.
Le livre est léger, bleu comme le ciel. Quand on l’ouvre, on voit chaque page noircie au milieu par les vers. Daniel Bélanger a choisi d’écrire son histoire comme on écrit une chanson, avec rythme mais sans rimes. Parce qu’on connaît sa voix, parce qu’on connaît sa musique, on se laisse emporter tout de suite; on a confiance. Ça aurait pu être difficile de s’attacher au personnage de Vincent, un jeune homme de 19 ans que la peur de vivre rend froid, imperméable à l’émerveillement. Mais non. On le suit dans son périple italien avec un oeil bienveillant, on a le sentiment d’être un ange sur ses talons qui s’assure que rien ne lui arrive.
Dès les premières lignes, on s’inquiète pour Vincent comme le lecteur de Camus s’inquiète pour Meursault. Le jeune homme confesse: "Malgré mes dix-neuf ans j’étais vieux, / beaucoup plus vieux que je ne le / serai jamais de ma vie." Cherchant l’étincelle initiatique dans un monde où "l’éventualité d’une catastrophe fait / vendre les journaux, la musique et la littérature", Vincent déambule et médite; marchant dans Florence, c’est dans son âme qu’il erre. Tantôt interrogeant ses origines: un père taciturne qui "s’endormait si ironiquement muet, / la bouche ouverte" et une mère "couchée" et "déprimée", tantôt se désolant de l’avenir pour lequel il n’entrevoit ni "des sommets à atteindre ni / des lendemains meilleurs", Vincent sera néanmoins confronté à Anna dont il tombera amoureux. Leur amour pourra-t-il sauver Vincent de sa torpeur? Et quel est ce mystère qui entoure Anna? Disons simplement que rien de convenu ne suivra cette "improbable collision / de deux êtres volontaires".
Partout, la peur filtre à travers les mots, celle d’être qui on est et celle de ne pas être celui qu’on aurait voulu être, comme la peur de choisir et de perdre. Assurément, Les Allusifs ont fait un bon coup en créant une collection dont la pierre d’assise est ce sentiment à fort potentiel romanesque.
Le roman-chanson de Bélanger compte bien quelques imperfections par-ci par-là: quelques phrases creuses ou alambiquées, un passage dans une auberge de jeunesse qui détonne et une chute qui laisse pantois, mais on n’en fait qu’une bouchée. Les épicuriens feront durer le plaisir en lisant à voix haute.
Auto-stop
de Daniel Bélanger
Les Allusifs, coll. "Les Peurs", 2011, 80 p.