Émilie Legris : La face cachée
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Émilie Legris : La face cachée

Dans son premier roman, Vomir, l’auteure gatinoise Émilie Legris ressasse les cadavres du passage à l’âge adulte et restitue, en un peu moins de 150 pages, toute la hargne de l’adolescence disloquée.

Nous nous étions donné rendez-vous coin Laval et Hôtel-de-Ville. Émilie Legris attendait patiemment, enveloppée d’un long foulard, ses écouteurs de baladeur plaqués aux oreilles, probablement pour s’extraire de ce monde qui l’entoure. Sa poignée de main ferme mais timide semble vouloir me donner raison.

"L’enfance est un couteau planté dans la gorge…" laisse tomber Legris une fois attablée pour un déjeuner chez Barbe, établissement mythique du Vieux-Hull. Ces mots, qu’elle a pigés dans le long métrage Incendies, elle les utilise d’emblée pour exprimer la détresse vécue par le personnage principal de Vomir, son liminaire roman-choc. "C’est de l’autofiction. Y’a une grande part de vécu là-dedans", avance-t-elle, laissant ainsi planer que le personnage central du récit, ce JE tout en antagonismes, aurait été, en grande partie, inspiré de l’Émilie Legris que quiconque aurait pu croiser il y a sept ou huit ans. Cette femme-enfant parvenant difficilement à s’y retrouver dans ces conventions sociétales voulant si ou ça, cette amoureuse qui se déchire et se heurte à moult constats terribles face aux adultes, à cette "belle gang de cons qui s’amusent à détruire la terre et qui n’ont aucun principe". Une période charnière pour l’auteure. "À 18-19 ans, je faisais mal aux gens, je me foutais de tout. On ne connaît pas nos limites. Et moi, je les ai testées en esti!" s’esclaffe-t-elle, avant de poursuivre: "Ça a pris du temps avant que je trouve l’idée avec laquelle j’allais être bien. Moi, j’ai jamais compris les enfants qui, à cinq ans, disent qu’ils veulent devenir pompiers. C’est jamais ce qui t’arrive."

Maintenant âgée de 26 ans, Legris demeure, même si elle a acquis la sagesse d’éviter de cracher sur ce qui lui paraît abject, toujours aussi tranchante par rapport aux valeurs véhiculées à grands coups de bande passante et d’images sur écrans HD. La famille: "Tu fais des enfants, c’est pas pour les crisser en garderie à la première occasion." Le couple: "Si t’aimes pas ta blonde, câlisse-la là. Si tu la trompes, dis-lui. Montre ton vrai visage."

"Pour moi, être un adulte, c’est ça. Assumer ses contradictions. Je suis très paradoxale… Un jour, c’est noir, l’autre, c’est blanc. Oui, c’est peut-être dur à suivre, mais moi je me trouve drôle!"

Du roman en soi, on finira par n’en apprendre qu’un peu plus. Que la maison d’édition Québec Amérique, après avoir manifesté de l’intérêt pour le manuscrit, s’est ravisée, arguant que les mots de Legris représentaient "un risque financier trop grand". On apprendra que Vomir fut écrit à deux époques, le premier quart d’un trait et la fin quelques mois plus tard, après un internement en hôpital psychiatrique. "J’ai vraiment pété les plombs."

Du coup, l’écriture s’est révélée comme une bouée de sauvetage qui a mené Émilie Legris vraisemblablement plus loin qu’elle ne l’aurait cru. C’est tout ce qu’elle dévoilera vraiment, l’entretien étant truffé de non-dits vigoureux et de vérités à demi-dévoilées. Nous laissant l’impression que Legris a eu beau vomir toutes ses tripes, cette histoire lui restera dans le fond de la gorge encore très longtemps. "On ne peut pas tâter le sujet. Je ferme la porte", se bute-t-elle à répondre lorsqu’on aborde le personnage de Monsieur Planète, cet homme qui, on s’en doute, a laissé plus qu’un heurt, plus qu’une ecchymose sur le coeur de la jeune auteure. "Je laisse au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions." Soit.

Vomir
d’Émilie Legris
Éd. du Nordir, 2010, 147 p.

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