Grégory Lemay : Post coïtum animal triste
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Grégory Lemay : Post coïtum animal triste

Dans Les modèles de l’amour, Grégory Lemay assoit son lecteur dans la chaise du voyeur et l’invite à observer le désir qui se donne en spectacle.

Ils se pointent à votre demeure et baisent devant vous. S’il est strictement défendu de les toucher, il est permis de se toucher en les regardant s’exécuter. Ils s’appellent Christèle et Geoffroy, sont jeunes, fermes, beaux, jouissent fort, à répétition. "Leur annonce nous change de celles des call-girls, qui te veulent sans bon sens, apparemment. […] Eux, ils font très peu de fautes de français. Leur annonce ne sue pas la fausseté", estime un de leurs bons clients. Gros oisif fini tout droit sorti d’un film de Gus Van Sant, il cherche dans leurs services une alternative à la porno et une façon d’échapper à son quotidien d’hébétude éthylique.

Après avoir exploré les rouages d’un noyau familial dans Le roman de l’été, Grégory Lemay s’intéresse à ceux du désir dans Les modèles de l’amour. En alternant entre les réflexions du spectateur désoeuvré et l’histoire des saltimbanques du lit – une double narration très clipée -, il montre la solitude, en général, et celle que le sexe ne résout que momentanément, en particulier. La distance au coeur du couple ne s’abolira donc que dans la complicité de leurs tristes danses: "Par chance, les parties génitales de l’autre sont là. On peut les aimer malgré l’autre. Elles marquent autrement que son cou, ses cheveux, ses yeux, ses fesses. Elles deviennent un être à part entière avec le temps."

Les retours dans le passé de Christèle et Geoffroy auraient pu constituer un piège pour le romancier, le confiner à une posture morale qui veut expliquer le mal-être. L’impudeur de ces travailleurs du sexe est-elle un symptôme des viols dont ils ont été victimes? Les personnages et l’auteur, sans sombrer dans le relativisme, ont la sagesse de ne pas trancher le débat. Et si l’évocation de ces agressions se voulait un pied de nez au bête déterminisme psychologique des fictions populaires?

Les limites du polaroïd littéraire que Grégory Lemay pratique finiront peut-être par poindre au terme de ce quatrième roman trop court. Son louable parti pris pour le furtif et l’humour sourd demeure malgré tout la marque de fabrique d’une oeuvre dont la superficialité agit en trompe-l’oeil.

Les modèles de l’amour
de Grégory Lemay
Éd. Héliotrope, 2011, 168 p.

Les modèles de l'amour
Les modèles de l’amour
Grégory Lemay
Héliotrope