Patrick Brisebois : Le roman exhumé
Trépanés de Patrick Brisebois, d’abord publié en 2000 à l’Effet pourpre, renaît après un important processus de réécriture qui va bien au-delà de la simple réédition. Le point avec Patrick Brisebois et les deux éditeurs du roman.
Première vie
"Suicidez-vous": ainsi s’amorce Trépanés dans sa première édition. Et même si Patrick Brisebois se défend d’avoir voulu provoquer, dans une scène du roman qui se déroule au Festival international de la poésie de Trois-Rivières, l’auteur nomme quelques écrivains connus et reconnus, les met en scène d’une façon peu flatteuse. "À l’époque, j’avais des comptes à régler avec le milieu poétique. Mes recueils avaient tous été refusés et j’avais le goût de me venger. Ce que j’ai écrit est blessant, un peu comme un sketch de RBO qui traite une chanteuse de grosse… Je m’en rends compte aujourd’hui. Je me cachais dans les salons du livre! Et pour ce qui est de mon personnage complètement evil qui lance un appel au suicide, j’ai un ami qui s’est tué, et la mort de Nelly Arcan m’a bouleversé… Dans la dernière édition, j’ai supprimé ce qui ne servait pas l’histoire."
François Couture, aujourd’hui à la barre de la collection "Texture" chez Hurtubise, savait à l’époque qu’il tenait une petite grenade puisqu’il avait même fait lire le manuscrit à un avocat par précaution. Devant les réserves de son ancien poulain, il réitère ce qui l’avait d’abord enchanté: "Le côté baroque, très libre de Trépanés me plaisait. Les digressions ne me dérangeaient pas non plus, ce que j’aime dans les livres, c’est quand les trucs dépassent… Évidemment, la scène à Trois-Rivières a beaucoup fait jaser dans le milieu. De toutes les époques, les jeunes ont chialé contre ceux qui étaient bien en place, établis. Ça a été notre façon, à Patrick et à moi, de le faire vis-à-vis du milieu de l’édition."
Deuxième vie
C’est l’auteur Mathieu Arsenault qui a attiré l’attention d’Éric de Larochellière, directeur du Quartanier, sur l’oeuvre de Patrick. "Je n’avais jamais lu Brisebois. Son livre m’a touché, j’ai aimé son travail sur les personnages féminins, le fait que le narrateur ne soit pas blasé ni cynique, l’autodérision, l’honnêteté émotionnelle: y a zéro bullshit dans les livres de Patrick, et c’est là que la littérature commence pour moi."
Tous deux s’étaient entendus sur la réédition des trois premiers romans de Brisebois en commençant par son second, Trépanés, mais à l’étape de la vérification des épreuves – donc assez tard dans le processus éditorial -, l’auteur s’est mis à douter. "Je ne m’étais jamais relu. Plus on avançait, plus je résistais." Et de fil en aiguille, la réédition s’est transformée en important processus de réécriture. "C’est la même histoire, les mêmes personnages, mais sur le plan de la tonalité narrative, il s’agit à mes yeux d’une autre oeuvre. Dans un monde idéal, peut-être que les deux existeraient en même temps? C’est aussi l’histoire d’un écrivain qui a changé."
Le roman est davantage structuré et l’écriture s’est resserrée. De son propre aveu, l’auteur n’avait pas complètement digéré Ducharme et Céline quand l’oeuvre a été publiée. Trépanés n’est pas dénaturé, on suit toujours les aventures de Morvan, d’Annonciade et de Fabia, leurs amours malsaines, vouées à l’implosion, mais les personnages prennent une ampleur quasi archétypale. "C’est ce qui donne au livre des airs de conte, un conte anti-Disney, précise de Larochellière. Dans sa forme actuelle, Trépanés évoque pour moi les univers de Tom Waits, de Nick Cave, les histoires de fantômes japonais et même la musique de Joy Division. C’est un livre qui a beaucoup de coeur, un coeur noir, et je suis content qu’une nouvelle génération de lecteurs puisse le découvrir."
Trépanés
de Patrick Brisebois
Texte revu par l’auteur, édition définitive
Éd. Le Quartanier, 2011, 185 p.
À lire si vous aimez /
L’univers d’Edgar Allan Poe, Le tour d’écrou de Henry James, le film Donnie Darko