Atiq Rahimi : Maudit soit Dostoïevski
À Kaboul, en pleine guerre civile, le jeune Rassoul assassine nana Alia, maquerelle qui forçait sa fiancée, la belle Soufia, à se prostituer. Au moment où sa hache fend le crâne de la vieille, son esprit est foudroyé par le souvenir de Crime et châtiment, Rassoul ne pouvant s’empêcher de comparer son sort à celui de Raskolnikov, le héros de Dostoïevski. Fuyant en laissant sur place l’argent et les bijoux de sa victime, il finit par se livrer à la police afin de donner à son geste une finalité morale. Mais la rédemption est-elle possible dans une ville privée de raison, où tuer demeure un acte quotidien? Écrivain franco-afghan, goncourisé en 2008 pour son roman Syngué Sabour, Atiq Rahimi se surpasse dans Maudit soit Dostoïevski. Sa narration, haletante et parodiant l’écrivain russe, rapproche ce livre du thriller tandis que se déploie, au fil des pages, une réflexion sur le sens de la responsabilité humaine, sans cesse remise en question. Éd. P.O.L, 2011, 312 p.
Que faire
Ce livre singulier est de la plume d’un auteur à qui le prix Goncourt n’a pas coupé les ailes. Profondément original, il ne pêche pas par la voie de ceux qui empruntent la forme littéraire pour donner du lustre à leurs écrits. Il n’abuse pas trop non plus des contenus acquis ou tenus pour incisifs afin de leur donner du piquant. Ses emprunts à la littérature de tout bord ne sont là que pour illustrer son propos, lequel demeure personnel et profond.
Ce chemin buissonnier qu’il emprunte pour parcourir une contrée semée d’embûches, c’est avec la mise en scène d’un personnage aphone qu’il y parvient. Avec celui-ci, s’exprimant tantôt à la première personne, tantôt à la seconde quand ce n’est pas à la troisième personne pour se décrire en situation de dialogues avec son entourage, il nous fait pénétrer dans son intimité la plus cachée tout en nous donnant des clefs pour comprendre la culture qui habite son langage. Nous sommes alors plongées dans un pays en guerre, le sien, son Afghanistan, mais avec un regard qui ne doit rien à celui étranger qui le juge de l’extérieur et de loin. Nous sommes plongés dans une absurdité au quotidien, celui du meurtre qui ne connaît plus ses motifs, donc de la guerre en général. Du plus particulier qui soit, une culture clanique et sa loi tribale, nous sommes passés au plus universel soi disant, celui de la justice abstraite. C’est un tour de force qui mérite d’être salué.