Catherine Leroux : Un air de famille
Catherine Leroux signe un ambitieux premier roman mettant en scène les membres d’une famille élargie marqués par leurs origines et par leur nom.
Plus qu’une famille, les Brûlé forment un véritable clan dont les rencontres parsemées au fil des ans rassemblent différentes générations dans la région de Lanaudière, aux abords d’une forêt. C’est notamment le cas lorsque le patriarche Fernand Brûlé, après moins d’un an de veuvage, convole en secondes noces avec Emma, de vingt ans sa cadette, au désespoir de ses quatre enfants qui n’ont pas encore terminé le deuil de leur mère. Avec le temps, l’amabilité d’Emma et son dévouement pour le vieil homme tombé malade auront raison des résistances filiales, elle et ses propres enfants devenant des membres à part entière de la famille…
Rien que du très humain chez les personnages de Catherine Leroux qui traversent au fil des générations les drames banals qui tissent notre quotidien à tous: mariages, divorces, naissances, cancers, réussites et échecs professionnels, sorties de placard… Au-delà de l’anecdote, les Brûlé se démarquent donc par la force de leurs liens et l’histoire qu’ils partagent, y compris même dans ces quelques épisodes que la plupart ignorent. C’est ainsi que l’auteure remonte aux origines de la famille en traçant le parcours d’une aïeule "née à même le sol", cette Alma Brûlé, redoutable chasseuse qui, au milieu du 19e siècle, abandonna maison et enfants pour obéir à l’appel de la forêt et de la route.
Avec la matière imposante dont elle dispose, Leroux aurait facilement pu accoucher d’une immense et typique saga familiale en plusieurs volumes. Faisant l’économie de longs dialogues et descriptions, l’écrivaine s’est plutôt livrée à un exercice beaucoup plus littéraire, optant pour une formule narrative par fragments, chargée d’une force évocatrice qui suggère davantage qu’elle n’élabore. Ainsi le lecteur pénètre-t-il subrepticement dans l’univers de Leroux, et notamment dans la très belle ouverture du roman où quelques protagonistes sont présentés à tour de rôle, sans être nommés, dans le rapport qu’ils entretiennent au territoire.
À la manière des personnages peints sur les toiles de la jeune Amélie Brûlé où jeunes et vieux coexistent grâce à une habile illusion d’optique, les générations se télescopent dans cette envoûtante Marche en forêt de Catherine Leroux où l’on saute régulièrement d’une époque à l’autre. Entre elles, cette forêt vivante où l’on aime errer à tout âge: une forêt elle-même personnage du roman et facteur d’identité de la famille dont le nom prédestiné de Brûlé "s’attarde dans l’air comme une odeur de soufre".
La marche en forêt
de Catherine Leroux
Éd. Alto, 2011, 300 p.