Danny Plourde : En veux-tu une froide?
Danny Plourde devient romancier avec Joseph Morneau, La pinte est en spécial, un seau d’eau froide lancé au visage d’une génération qui menace de s’endormir au bar.
C’est avec le même déchaînement de chien fou qu’il met à souffler dans son harmonica sur les scènes de soirées de lecture que le poète Danny Plourde fustige dans son premier roman, Joseph Morneau, La pinte est en spécial, la corruption éhontée des élus et le je-m’en-foutisme ambiant qui permet aux amis du pouvoir de continuer leur travail de sape. "J’ai voulu faire un roman social à la Zola, une étude de milieu sur les bars, là où tous les espoirs naissent et meurent quelques heures plus tard au fond du verre, explique-t-il. Il y a tellement d’énergie positive qui se perd au comptoir. Je critique l’inertie en montrant des gens cyniques à l’extrême."
Derrière le zinc du Port des Vagues, Morneau coule des pintes à 4,50$ – pourboire non inclus – pour une faune de filles affublées de coupes au carré et de garçons en skinny jeans, hédonistes sans le sou qui ne vivent que pour le rock assourdissant, la broue engourdissante et la baise indifférente. Dehors, pourtant, une commission d’enquête sur la construction se prépare. "J’écrivais le roman en plein pendant Bastarache. Je m’en nourrissais, admet l’auteur. J’ai boosté les chiffres de la pétition pour la démission du premier ministre, j’ai écrit que 300 000 personnes l’avaient signée. J’ai été très marqué récemment par l’invitation de son initiateur à s’inspirer des révolutions dans le monde arabe en envahissant la colline parlementaire. Mais qu’est-ce qui est arrivé? Rien. Les 250 000 signataires sont restés à la maison, la main dans le sac de chips et la bière entre les cuisses."
Le barman nonchalant, lui, sera happé frontalement par l’actualité. Une tête tombera et de petits Jacques Lanctôt fomenteront une suite à Octobre. Un fantasme pour le fervent souverainiste? "Au contraire, réplique-t-il, c’est une critique de l’engagement irraisonné. Antoine et Jules, c’est juste des blaireaux qui font des p’tits coups, mais ils sont quand même traités de radicaux par Morneau et sa gang de désabusés. Ils vont finir par enfiler le manteau que la société leur a tissé."
Palpable exaspération, donc, que le nouveau romancier a dû endiguer: "J’ai essayé d’aborder les personnages de crosseurs en me mettant dans leur peau, pas d’un point de vue de gars frustré. C’est ce qui a été le plus difficile, humaniser ces hommes-là, donner une épaisseur à leurs motivations."
Ce qui ne veut pas dire que l’on ne sent pas cogner sous la page les inquiétudes de l’écrivain. À contre-courant d’un certain jovialisme médiatico-politique, Plourde montre une métropole qui s’anglicise et où les disparités économiques pourraient se transformer en barils de poudre. "Je trouve qu’on vivrait mieux collectivement si on était tous un peu plus indignés, estime-t-il. On essaie tout le temps de chercher le consensus. On dit que tout est beau, correct, propre, mais ce n’est pas ça la vie."
Joseph Morneau, La pinte est en spécial
de Danny Plourde
VLB éditeur, 2011, 288 p.
Après trois recueils de poésie marquants, Danny Plourde vomit l’apathie ordinaire dans un premier roman en odorama. Rarement Montréal aura-t-elle autant empesté que dans Joseph Morneau, La pinte est en spécial; on boit, on rote, on pisse, on baise, on saigne et on sue au bar Le Port des Vagues – descriptions carnavalesques en sus. Maître d’oeuvre d’une intrigue échevelée, l’auteur s’embourbe parfois en enfonçant le clou des idées reçues ou en donnant vie à des bandits à cravate caricaturaux. Plourde se fait le plus incisif quand il se moque d’un écosystème rock émergent rempli de sangsues ou quand il raille la présumée gratuité des soins de santé. Métaphore brassicole: cette jeune bière aurait pu vieillir encore dans le fût, mais son amertume a le mérite d’empêcher momentanément l’air vicié du temps de nous prendre à la gorge.