Chrystine Brouillet / Double disparition : Chrystine Brouillet, récidiviste
Bon an, mal an, l’été commence avec un Brouillet. Avec Double disparition, l’Agatha Christie du Québec revient troubler nos nuits.
C’est le douzième opus de la série Maud Graham. Déjà. La détective n’a plus besoin de présentation et des milliers de lecteurs l’appellent volontiers Biscuit. Cette fois, le département des crimes contre la personne enquête sur la disparition de la petite Tamara. Un centre commercial, un pédophile qui rôde et voilà, il n’en faut pas plus pour que la mécanique policière se mette en marche. Parallèlement, on suit l’histoire de Trevor, un jeune Rimouskois aux origines troubles dont la mère incestueuse vient de mourir. Quête identitaire et enquête policière superposées dans lesquelles Maud Graham jouera un rôle central.
Fidèle en amitié
Chrystine Brouillet ne se lasse pas de côtoyer sa fidèle amie. "Il n’est pas question que j’arrête d’écrire des Maud Graham dans ma vie! J’ai mon Maigret, je serais ben folle de le trucider comme Conan Doyle l’a fait avec Sherlock Holmes. Il a été obligé de le ressusciter." En effet, les polars profitent d’une longue tradition de personnages récurrents. Elle-même entichée des personnages de Mankell et de C.J. Box, Chrystine Brouillet se réjouit de l’affection manifeste des lecteurs à l’égard de Maud, Grégoire et maintenant Maxime. Il arrive qu’une lectrice lui demande: "Que va-t-il arriver à Maxime? Ça doit lui faire 14 ans", comme si l’enfant continuait de vivre entre deux parutions. Cet enthousiasme donne lieu à un dialogue nourri qui stimule l’auteure. "Ils sont des baromètres. Je ne reprends pas un personnage si je suis la seule à l’aimer." Le partage, c’est son art de vivre.
Yin et yang
Amie des médias, animatrice à ses heures, on connaît si bien l’auteure qu’on ne s’étonne plus que Brouillet soit une épicurienne assumée, loin de la psyché sombre des tueurs qu’elle décrit. Le yin et le yang cohabitent des deux côtés du miroir et la marraine du polar québécois n’y voit rien de contradictoire. "Les policiers, ceux que je côtoie, ce sont des bons vivants malgré tout. Ils sont tellement dans un univers noir et sombre qu’ils ont besoin de laisser les meurtres au bureau et de mettre de bons plats sur la table, de partager des bonheurs simples. Dans mes romans, les moments passés à table sont des éclaircies."
Avoir le bonheur facile, c’est aussi une question d’équilibre quand on écrit des polars. "C’est le fait d’être heureuse qui me donne la force et l’énergie pour m’approcher des thèmes durs que sont les libérations conditionnelles ou l’inceste." Des thèmes durs, oui, que l’auteure préfère nettement explorer par l’intermédiaire des livres ou de ses contacts dans le milieu policier. "Je n’irais jamais poser des questions à une victime pour faire un meilleur roman, comme je n’irais jamais faire une entrevue avec un tueur comme Truman Capote l’a fait pour écrire In Cold Blood. Moralement, je ne me sentirais pas le droit de faire ça."
Tous ses lecteurs vous le diront, Chrystine Brouillet n’a pas besoin de cela pour insuffler de la vie à ses personnages.
Double disparition
de Chrystine Brouillet
Éd. La courte échelle, 2011, 304 p.
Double disparition
Quand une série fonctionne très bien, la critique se trouve devant un dilemme: faut-il envisager la parution dans le continuum de la série, c’est-à-dire en adoptant le point de vue des habitués, ou regarder le roman seul, sachant que ce ne sont pas tous les lecteurs qui auront lu l’ensemble? Vous l’aurez deviné, ce préambule ne fait que révéler l’intérêt mitigé que suscite Double disparition. D’une part, on retrouve tous les ingrédients qui ont fait le succès de Maud Graham: le rythme soutenu, les personnages attachants, les lieux réels des villes de Québec et Montréal et les motivations morbides de psychopathes que n’arrive pas à conjurer l’excellent lapin au paprika fumé servi au repas du soir. Mais le roman souffre de la comparaison avec les best-sellers de Larsson, Ellory et Kellerman, pour ne nommer qu’eux. L’intrigue nouée autour de la figure du pédophile de centre commercial semble édulcorée et l’action ne laisse pas suffisamment de place à la psychologie des personnages. Un nouvel épisode qui plaira aux convertis mais qui ne révolutionne pas le genre – d’autant qu’il vit une période faste.