Louis Gauthier : Voyage, voyage
Louis Gauthier est un écrivain du voyage. Qui réussit. Un tour de force quand on sait que le commun des mortels s’intéresse peu aux voyages… des autres.
Ses Voyage au Portugal avec un Allemand et Voyage en Irlande avec un parapluie nous ont charmés. Alors Louis Gauthier en remet avec Voyage au Maghreb en l’an mil quatre cent de l’Hégire, un récit immersif et sensible, hélas caché derrière un titre savant et une couverture passéiste qui ont l’effet d’un repoussoir. Heureusement, on plonge vite dans le récit.
Éploré par une rupture récente, le narrateur a quitté Montréal pour tracer sa propre route des Indes. On le rencontre à Marrakech, alors qu’il se rend compte que son itinéraire improvisé ne le mènera vraisemblablement pas au pays des vaches sacrées. De Londres, il a fait un "détour inutile par le Portugal" au lieu de se diriger vers la Turquie, et tout ce cafouillage l’éloigne de son but. Mais c’est le chemin qui compte, et les rencontres qui sont le coeur du livre. Quelques Québécois pas trop caricaturaux, un rockeur hongrois décadent, Didier l’anarchiste et un Australien incompréhensible dont le narrateur dira, pince-sans-rire: "De toute façon, il n’a pas l’air beaucoup plus intéressant que moi." On rencontre aussi Youssouf le restaurateur, quelques chauffeurs de taxi, monsieur Diawa, le sage, Mourad, qui prétend étudier en médecine, et des quantités d’amis autoproclamés.
Le scénario n’a rien de très original, d’accord, mais c’est le style qui l’emporte. Gauthier manoeuvre finement à travers observations, pensées et émotions sans aucun tape-à-l’oeil, en évitant les pièges de l’enthousiasme, l’autoglorification et l’anthropologie à gogo qui rendent les récits de voyage infects. Le doute et l’incertitude règnent, ainsi qu’une mise à distance de ce qui constitue la civilisation. À propos du désert, le narrateur constate: "La Terre est un no man’s land, nous n’y sommes chez nous nulle part. La Terre n’est pas hospitalière, elle est ce qu’elle est, et nous ne lui sommes pas indispensables. Mais comment allons-nous nous en apercevoir si l’homme installe partout un confort artificiel?" Le dépouillement dans l’écriture, l’humilité du ton et l’humour joué en sous-main font du plus récent Voyage de Gauthier une bulle intimiste qu’on quitte à regret.
Voyage au Maghreb en l’an mil quatre cent de l’Hégire
de Louis Gauthier
Éd. Fides, 2011, 187 p.