Jean-Euphèle Milcé : Les fruits de l'espoir
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Jean-Euphèle Milcé : Les fruits de l’espoir

Jean-Euphèle Milcé met en scène le faux kidnapping d’une "humanitaire" dans une Haïti post-séisme, livrée aux interventions de l’aide internationale.

Incarcéré après avoir contrevenu aux lois de l’immigration canadiennes, Daniel fait la connaissance de Marianne durant une visite de celle-ci au centre de détention de Port-au-Prince. Lorsque se produira le séisme du 12 janvier 2010 et que Daniel quittera sa prison dont les murs se sont écroulés, rien n’ira plus pour cette représentante de la Croix-Rouge dont la vision d’Haïti ne correspond plus tout à fait à celle de son employeur. Organisant un faux kidnapping, son "exfiltration du monde des expatriés", elle troquera le milieu protégé de sa mission contre une fuite en compagnie de l’évadé, dont le seul crime a été de vouloir "passer d’un point à un autre sur une terre spéculativement globalisée".

C’est une Haïti livrée aux contingences de l’aide internationale que Jean-Euphèle Milcé dépeint dans ce roman social aux accents lyriques. On abordera de front, ici, la culture humanitaire bien-pensante qui se complaît notamment à vanter la grande "résilience" du peuple haïtien, alors que les morts se comptent par centaines dans les rues de la capitale… Pour raconter son histoire, l’écrivain a rejeté le choix facile qu’aurait représenté l’Haïtien Daniel, optant plutôt pour le regard de la jeune Française blonde. Éprise de désir pour un pays et pour l’un de ses hommes, désir "incompatible avec la demi-mesure", la narratrice cultive le naïf projet de vivre Haïti de l’intérieur, loin de "l’inévitable ségrégation quand les autres détiennent le monopole des interventions de relèvement d’un peuple sévèrement fragilisé".

Tout en faisant écho à une catastrophe écologique et sociale, Les jardins naissent se présente comme un roman de la reconstruction. C’est en parcourant les méandres de Port-au-Prince – "Ville détruite. Ville de toutes les opportunités politiques et humanitaires. Ville sous tente" – que Marianne projette d’employer l’argent de sa rançon pour acheter des semences. Elle fait ainsi sien le projet de Daniel, initiateur de l’idée d’aménager des potagers sur des sites rasés de la ville, suivant le fameux mot d’ordre "déblayez et plantez partout" entendu dès le lendemain du tremblement de terre. Une idée qui ne plaît pas à tous, au gouvernement par exemple, où l’on croit que les ruines seraient plus payantes pour Haïti que les fruits anticipés d’une éventuelle récolte…

Sur fond de détresse et de cataclysme, et à travers ces deux personnages qui se jaugent dans l’hôtel de passe qui leur sert d’abri, se manifeste la fibre poétique de Jean-Euphèle Milcé. "Mon chemin est stérile et ma survie conditionnée à toutes sortes de fantaisies liberticides", dira Marianne, phrase que ne renierait sans doute pas le peuple haïtien lui-même.

Les jardins naissent
de Jean-Euphèle Milcé
Éd. Coups de tête, 2011, 120 p.

Les jardins naissent
Les jardins naissent
Jean-Euphèle Milcé
Coups de tête