Geneviève Jannelle : Pied de guerre
Geneviève Jannelle explore l’univers des talons aiguilles dans un premier roman intitulé La juche.
Cayo Santori est créatrice de chaussures pour femmes. Mais attention: ne porte pas du Cayo qui veut! Chaque paire que la designer confectionne n’existe qu’en un seul exemplaire destiné à une cliente qu’elle choisit parmi les plus racées de la métropole. Cayo sait qu’une femme bien juchée peut changer la face du monde: les talons demeurent pour elle l’"assise de la femme, son fondement, sa confiance". Lorsqu’il se rendra à son magasin pour prendre livraison des chaussures de sa petite amie, le réalisateur Jérôme Durand succombera aux charmes de l’indépendante Cayo, son obsession pour elle déstabilisant bien vite son univers… C’est que la piquante brunette n’a pas l’habitude de se laisser contrôler par les hommes et il n’est surtout pas question de se déchausser devant eux, y compris durant l’acte sexuel.
Avec ses motifs fétichistes à revendre, La juche, premier roman de Geneviève Jannelle, entraîne le lecteur dans la tête d’une héroïne qui ne fait ni dans la dentelle ni dans le compromis. Artiste tourmentée et semi-mondaine frayant dans la jet set montréalaise, Cayo évoque et provoque tout à la fois le désir, désir à l’état pur faisant le plus possible abstraction des sentiments. Le bellâtre Jérôme apprendra à ses dépens que c’est "pour qu’elles puissent écraser les hommes" que Cayo juche les femmes avec passion… et une bonne dose de rage.
Difficile d’éprouver de la compassion pour les personnages de Jannelle, avatars superficiels d’une branchitude convenue qui aiment les vieux scotchs, fréquentent le Plan B, le Continental et les bars à vin, habitent des lofts ornés de chaises Philippe Starck et de toiles de Corno. L’écrivaine regarde-t-elle tout cela avec ironie? Difficile à dire… Il en va de même pour l’espèce de chute libre frôlant le cliché qu’expérimente Jérôme Durand, homme sûr de lui et à qui tout a réussi dans le passé, mais qui perdra tout sous l’emprise de la décadente Cayo. Celle-ci le gratifiera finalement de sa "noire indifférence" jusqu’à ce que le pauvre commette l’irréparable.
L’intérêt du livre réside donc en bonne partie dans la naissance de la passion de Cayo pour les chaussures et les sources de son inspiration que nous dévoilent des récits rétrospectifs intercalés dans le roman. En outre, le souffle qui habite l’écriture de Jannelle lorsque nous est décrit le rapport entre la créatrice et son oeuvre se révèle étonnant, point focal de l’existence de son personnage: "Sa vie, sa façade, son art, sa passion: transformer les femmes, non pas par de vulgaires accessoires, mais en ramenant à la surface une part essentielle de leur être, enfouie jusque-là. Elle faisait la chaussure et la chaussure faisait la femme." Et sous la plume de Geneviève Jannelle, on y croit.
La juche
de Geneviève Jannelle
Éd. Marchand de feuilles, 2011, 172 p.