Philip Kerr : Intrigue londonienne
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Philip Kerr : Intrigue londonienne

Parfait pour terminer l’été que cette réédition d’un polar de Philip Kerr, auteur de la fameuse Trilogie berlinoise. Loin des turpitudes nazies, Une enquête philosophique nous transporte à Londres et dans le futur… aussi loin qu’en 2013.

Inspectrice principale au New Scotland Yard, Isadora Jokowicz – Jake pour les intimes – est forcée d’interrompre une enquête pour diriger la traque d’un tueur en série, philosophe et moraliste qui a entrepris de débarrasser la société de ses moutons noirs… Ses collègues machistes et condescendants donneront du fil à retordre à Jake, choisie par la nouvelle ministre de la Sécurité publique qui croit que les femmes, avec leur sens développé du détail et malgré leur maigre représentation dans la police, ont plus d’aptitudes que les hommes pour mener à terme les grandes enquêtes criminelles…

Surfant sur le succès de La trilogie berlinoise, dont la récente édition française a permis de recruter un nouveau lectorat, les Éditions du Masque reprennent la traduction d’un autre roman de Philip Kerr, écrit en 1992, dans lequel ce maître du polar écossais délaissait le contexte historique de la Seconde Guerre pour projeter ses personnages dans un futur proche. Un futur encore plus proche de nous à présent que cet an de grâce 2013, époque où le gène criminel peut être détecté dans l’ADN de chaque individu et où le gouvernement offre d’encadrer ceux qui n’ont pas encore versé dans la délinquance grâce à un traitement d’oestrogènes et de psychothérapie. Une situation sociale qui se complique à Londres lorsqu’un tueur démiurge (Wittgenstein de son nom de code) parvient à infiltrer la base de données informatiques donnant accès à tous les "NVM-négatifs" et qu’il entreprend de les éliminer un à un.

L’une des principales curiosités d’Une enquête philosophique réside donc certainement dans ses prévisions futuristes que nous sommes en mesure d’évaluer à l’aune de notre propre réalité, un peu comme les lecteurs ont pu revisiter le classique de George Orwell en 1984. Il y a évidemment tous ces gadgets de communication électroniques qui accaparent notre vie sans la simplifier, mais surtout la montée de la droite, du terrorisme, de la répression et de l’invasion de la vie privée qui l’accompagne. Jusqu’à cette Angleterre, autrefois pluvieuse, qui traverse une période intense de sécheresse due au réchauffement climatique…

Beau personnage également que cette inspectrice solitaire, misanthrope en général et détestant le sexe mâle en particulier, ayant consacré le plus gros de sa carrière à débusquer des assassins de femmes. Cette Jake au nom viril devra passer par-dessus son malaise d’oeuvrer sur cette nouvelle affaire visant à démasquer un "tueur de tueurs".

Il faut noter que l’écriture de Kerr ne révolutionne rien sur le plan littéraire avec sa narration bavarde, ses dialogues convenus de polar où point sans cesse une ironie qui se veut mordante, des explications techniques à ne plus finir sur les méthodes d’enquête informatiques… Le style de l’écrivain se déploie toutefois dans ces bribes de narration lyrique intercalées dans les chapitres où s’exprime le tueur Wittgenstein, celui-ci prétendant oeuvrer à la justice et considérant ses meurtres comme des "exécutions". Son absence de faille apparente et son sens aigu de la mission font d’ailleurs de lui un criminel particulièrement difficile à attraper pour Jake qui finit par entretenir avec lui un dialogue bien particulier…

Une enquête philosophique
de Philip Kerr, traduit par Claude Demanuelli
Éd. du Masque, 2011, 390 p.

Une enquête philosophique
Une enquête philosophique
Philip Kerr
Du Masque