Douglas Coupland : Apocalypse Now
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Douglas Coupland : Apocalypse Now

Douglas Coupland poursuit sa cartographie de notre époque et de ce qui la mine: solitude, bonheur de façade, désir d’évasion dans des mondes virtuels et des paradis médicamentés. Gros plan sur une figure incontournable de la littérature canadienne actuelle.

La petite collection "Texture", logée aux Éditions Hurtubise, nous a servi depuis sa création en 2007 plusieurs curiosités littéraires, signées la plupart du temps par des auteurs en herbe. La cellule dirigée par François Couture frappe un grand coup en cette rentrée 2011 en accueillant l’une des stars du monde littéraire canadien: Douglas Coupland.

Reconnu pour être celui qui a popularisé l’expression "génération X", au début des années 1990, Douglas Coupland s’est depuis montré prolifique, publiant une quinzaine de romans dont plusieurs ont fait le tour du monde (Microserfs, Girlfriend dans le coma, Toutes les familles sont psychotiques, jPod…), chacun témoignant d’une imagination pour le moins féconde et portant, sur et entre les lignes, une critique sociale acérée. L’écrivain basé à Vancouver a par ailleurs touché au théâtre, contribué à des livres de photographies, réalisé des portraits infiniment personnels de Canadiens qui à leur manière ont marqué leur époque (Terry Fox, Marshall McLuhan), sans compter une production non négligeable en arts plastiques et en design.

Celui qui a étudié quelque temps à l’Université McGill, il y a de cela plusieurs lunes, a bien voulu nous parler de son plus récent titre, Joueur_1, paru en anglais l’an dernier (Player One) et dont la traduction française, celle que publiera également son éditeur français habituel – Au diable vauvert -, a été préparée ici au Québec par Rachel Martinez.

Voici l’essentiel d’un échange courriel avec ce drôle d’animal, où les aléas de la traduction viennent parfois moduler les questions!

Joueur_1 est un véritable huis clos. Parlez-nous un peu de ce choix formel.

"Selon Wikipédia, Huis clos est le titre français original du No Exit de Sartre, paru en 1944. On me dit aussi qu’il s’agit de l’équivalent de la formule légale in camera, qui fait référence à une discussion privée, derrière des portes closes. Je crois que le terme réfère aussi à un genre, mais j’avoue ne pas très bien le connaître. Tout ceci évoque d’abord pour moi le Décaméron de Boccace (1353), ou encore Our Town de Thornton Wilder (1938). Et puis je suppose que Quentin Tarantino a créé plusieurs moments de huis clos dans ses films. Kill Bill 2 (2004) était une forme de huis clos particulièrement violent, non? Chose certaine, je ne suis pas très amateur de "philosophie philosophique". Je préfère voir la philo en action, ou encore à travers des dialogues."

Une fois de plus, vous dessinez des personnages dépassés par leur vie, qui se regardent, à un point précis de leur trajectoire, et disent: "Bon sang, c’est bien moi, ça?" On pourrait dire que c’est la thématique sous-jacente à tous vos livres, non?

"Plusieurs d’entre eux, à tout le moins. On pourrait aussi formuler ainsi ce que ressentent mes personnages: "Wow, la vie est infiniment plus courte que ce à quoi je m’attendais!" Ces décisions que l’on considère comme sans conséquence quand on est jeune se révèlent souvent être des choix fondamentaux, qui influencent profondément le restant de notre vie et qui sont presque toujours irrévocables."

Les jeux vidéo sont de nouveau très présents, ici. Qu’est-ce que la popularité de ces jeux nous dit de nos contemporains?

"Nous recherchons la répétition. Nous sommes compétitifs. Nous pouvons être terriblement destructeurs."

Le ton du roman, désabusé et amusé en même temps, nous fait penser, nous lecteurs francophones, à Michel Houellebecq. Êtes-vous un lecteur de son oeuvre?

"Non, mais il est depuis longtemps sur cette liste des auteurs dont on se dit: "Si seulement j’avais quelques journées de libres pour m’y mettre…" On prétend que Les particules élémentaires (1998) est son meilleur. Je ne suis pas sûr, cela dit, que Houellebecq soit bien traduit en anglais. Je ne suis pas du tout sûr non plus que je traduis bien le français, ni aucune autre langue d’ailleurs!"

Pour la première fois, la traduction française d’un de vos romans a été réalisée au Québec. Le résultat est très bon d’ailleurs…

"Ouf!"

Suivez-vous de près les travaux de traduction de vos livres?

"Non, absolument pas. Le mieux que l’on puisse faire est de jeter un coup d’oeil à une liste des livres auxquels le traducteur s’est attaqué auparavant. Si cette liste nous plaît, il y a de bonnes chances que nous aimions sa manière de travailler notre texte. En fait, on souhaite surtout que le résultat soit le plus proche possible de la façon dont nous pensons et nous exprimons. Ça semble être le cas cette fois-ci et j’en suis très heureux."

Votre livre précédent était une biographie de Marshall McLuhan. Y a-t-il d’autres personnages dont vous aimeriez écrire la bio?

"Peut-être Abraham Lincoln, mais il n’y a rien de plus à dire sur le sujet pour l’instant!"

On se demande tous comment vous arrivez à être aussi productif. La marque de vos vitamines, svp?

"Le sommeil! Je m’assure de pouvoir dormir au moins 8 heures et demie chaque nuit, sans rien qui puisse interrompre mes rêves. Le reste de la journée peut être merdique, si j’ai atteint ce chiffre magique, je sais que je serai créatif et que j’accomplirai ce que j’ai à accomplir. Je crois que ce rapport au sommeil, cette exigence de sommeil, est très courant chez les écrivains."

Joueur_1. Ce qu’il adviendra de nous
de Douglas Coupland
Traduit par Rachel Martinez
Éd. Hurtubise, coll. "Texture", 2011, 288 p.

ooo

Joueur_1. Ce qu’il adviendra de nous

Aéroport de Toronto, quelque part au début du 21e siècle. Dans un bar à cocktails vont se lier, de ce lien que seules peuvent causer les situations d’urgence, quatre personnages que tout sépare: Karen, une "maman-taxi" venue rencontrer un homme connu sur le Net, Rachel, une jeune femme d’une beauté spectaculaire mais à moitié coupée du monde par une forme rare d’autisme, Luke, un homme de Dieu qui a perdu la foi (et accessoirement volé 20 000$ dans la caisse de son église avant de se tirer en douce) et Rick, le barman, un désespéré prêt à confier son âme au premier prédicateur venu. Personnages archétypaux, ils seront les narrateurs successifs de cette apocalypse signée Douglas Coupland. En effet, après qu’on eut annoncé à la télé que le baril de pétrole a franchi les 250$, tout se détraque, des explosions se font entendre, des nuages toxiques recouvrent la ville, un sniper rôde dans les environs… Serions-nous soudain au beau milieu d’un jeu vidéo? La question est posée. Chose certaine, nous sommes bel et bien chez Coupland, maître ès dialogues, à qui on ne pourra pas reprocher, pour une fois, de s’éparpiller: ici, malgré l’invention constante, l’objet demeure serré sur le plan formel, la mécanique, implacable. Un bon cru. Plus étonnant qu’émouvant, mais un bon cru.

Joueur_1
Joueur_1
Douglas Coupland
Hurtubise/Texture