Naomi Fontaine : Kuessipan
Pour peu que vous ayez vu les images de désolation du Peuple invisible ou prêté l’oreille aux rimes percutantes de Samian, vous ne tomberez pas des nues quand Naomi Fontaine, Innue de Uashat (sur la Côte-Nord), vous placera face à l’âpreté du quotidien des réserves amérindiennes. Un tiers-monde d’oisiveté imposée, de drogues ravageuses et d’exiguïté kafkaïenne est à nos portes. Comment ne pas enrager? Le regard propre à la littérature que la jeune écrivaine pose sur cette dure réalité tient à la fois de l’appel d’air et du vortex éprouvant. Appel d’air, oui, parce que l’innommable est enfin nommé. En soi, c’est déjà beaucoup. Mais vortex, surtout, parce qu’à force d’accumulation, ces polaroïds de fin du monde à l’écriture dense aspirent le lecteur dans la mollesse des heures qui s’égrènent indistinctement sur la réserve. Une phrase, ici, et tout est dit: "La grosse femme, la peau brûlée par le soleil, continuellement assise sur son balcon, sa maison a été jugée insalubre." Troublant – on se croirait souvent au coeur d’un roman d’anticipation claustrophobique. La science-fiction des uns est le réalisme des autres… En se gardant de donner un nom aux spectres qui traînent leurs savates dans son livre – filles-mères accablées, maris émasculés par la modernité, ados usés avant le temps par l’alcool et la cocaïne -, Fontaine signe un roman spolié de ses personnages. Ne reste que des silhouettes quasi éteintes, des ombres d’existences trop prévisibles. "Je sais que le monde est injuste", écrit-elle. Il l’est malheureusement plus pour certains que pour d’autres. Éd. Mémoire d’encrier, 2011, 111 p.