Maya Angelou : L’illusion africaine
Dans les années soixante, Maya Angelou participa à un mouvement d’immigration vers l’Afrique de l’Ouest de descendants d’esclaves américains. Espérant retrouver la terre maternelle, ces derniers n’y rencontrèrent que malaise et indifférence…
Maya Angelou demeure une figure emblématique de l’émancipation des Noirs pour laquelle elle milita aux côtés de Martin Luther King à l’époque où le mouvement des droits civiques battait son plein. De Saint-Louis, dans le Missouri ségrégationniste où elle est née en 1928, à Harlem, épicentre de la vie intellectuelle noire, l’écrivaine a signé de captivants Mémoires en six volumes où sa vie privée se mêle aux moments phares de l’histoire contemporaine. Les Allusifs publient le deuxième tome de cette oeuvre sous le titre Un billet d’avion pour l’Afrique.
Après les faits relatés dans Tant que je serai noire, Angelou s’envole pour le Ghana (où ses ancêtres furent capturés) en compagnie de son fils Guy. Passé l’émerveillement provoqué par ce monde où "la peau noire n’annonçait ni l’avilissement ni une infériorité d’origine divine", c’est la quête d’une Afrique insaisissable qui est racontée ici avec les siècles d’histoire qui séparent dorénavant les deux populations. Angelou fera ainsi la rencontre d’un peuple fier de sa récente indépendance face au colon britannique et de son entrée dans la modernité à la suite de la détribalisation du pays. Une image positive mais difficilement conciliable avec le fantasme des expatriés américains "venus dans l’intention de téter les mamelles de la Mère Afrique".
La fascination exercée par ce livre réside en bonne partie dans une pratique maîtrisée du genre des Mémoires. Loin de constituer une toile de fond, les bouleversements sociaux et le choc des cultures décrits par Angelou participent intimement de son quotidien africain. Celle qui, par la force des choses, se définit de plus en plus comme Américaine et qui parle de la maternité comme d’un "carcan" s’y dévoile tour à tour habitée par une rage, qui lui causa certains ennuis, et par la sagesse rétrospective de l’écrivaine qui se penche sur ces années intenses deux décennies plus tard (elle écrit en 1986).
Dans le cadre de cette édition, il faut absolument souligner l’excellent travail des traducteurs Lori Saint-Martin et Paul Gagné. On ne dira jamais assez à quel point la traduction (qui verse souvent dans l’interprétation) peut être un art de patience et d’humilité. Celle qu’on nous offre ici, écrite dans un français standard sans fioritures, parvient à rendre toute la souplesse de l’écriture imagée d’Angelou, n’érigeant aucune barrière entre celle-ci et le lecteur. Raison de plus pour s’intéresser à cette oeuvre dont le propos sur les identités atteint l’universel et reste d’une actualité brûlante.
Un billet d’avion pour l’Afrique
de Maya Angelou
Trad. par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Éd. Les Allusifs, 2011, 226 p.