Claudia Larochelle : Femme libérée (tu sais c'est pas si facile)
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Claudia Larochelle : Femme libérée (tu sais c’est pas si facile)

Claudia Larochelle signe Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, un premier recueil de nouvelles moins jojo que son titre le laisse présager.

Elles cajolent des chats affublés de drôles de noms. Elles boivent des quantités mortifères de vin rouge. Elles maintiennent des façades impassibles, mais sont taraudées par des pulsions suicidaires. Mère courage, mémé lucide, ado endeuillée, amante éconduite, accro à la chair triste, elles sont les héroïnes du premier recueil de nouvelles de Claudia Larochelle, journaliste culturelle remarquée au sein du collectif Amour et libertinage (qu’elle a codirigé) grâce à un douloureux texte-vortex (Les mains d’Elena Ceausescu). Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, statue-t-elle cette fois-ci.

Pour la plupart trentenaires, souvent rongées par le tic-tac assourdissant de l’horloge biologique, les bonnes filles de Larochelle considèrent avec désenchantement les acquis d’un féminisme qui aurait oublié d’apprendre à ses héritières comment "préparer le repas, faire les lunchs, plier les pyjamas de tes enfants, appliquer une crème trop chère sur les pattes-d’oie naissantes, t’informer sur les traitements de Botox, aller au gym, consoler une amie, honorer le mari" dans une même journée. Elles ont aussi en commun les hommes, toujours les hommes, qu’elles s’acharneront à faire jouir jusqu’à ce que petite mort devienne grande.

Claudia Larochelle flirte avec le cliché et l’évite (presque) à tout coup en s’enfonçant avec une témérité limite masochiste dans la psyché de femmes au bord du précipice. Un peu plus d’ironie amusée et l’on serait chez Nadine Bismuth. Ajoutez une bonne dose de sucre et l’on crierait à l’ersatz chick lit (les chats et le vin rouge sont trompeurs). Mais Larochelle – c’est sa grande qualité d’écrivaine – distille un pessimisme irrécupérable, ne laisse jamais passer l’oxygène. Les effets micro-macros qu’elle opère, où se télescopent, dans la même page, petites misères et désespoir existentiel donnent le vertige: "Sophie, l’éternelle célibataire de la bande du collège, ne prenait plus la pilule. J’ai hérité de ses derniers comprimés et d’une nausée permanente en voyant des poussettes sur le trottoir […]"

Certains diront de ce livre qu’il est le fruit (amer) de l’époque des histoires d’un soir pourries, des sites de rencontres sinistres et des relations-consolations. Ils n’auront pas tort. Mais ne nous méprenons pas. Claudia Larochelle est la dépositaire d’une souffrance sans âge, celle des femmes qui préfèrent à la noyade la résignation.

Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps
de Claudia Larochelle
Éd. Leméac, 2011, 120 p.

Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps
Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps
Claudia Larochelle
Leméac