Bertrand Laverdure : La vie est un trou
Bureau universel des copyrights de Bertrand Laverdure nous aspire dans un gouffre burlesque. Entretien avec l’auteur.
"Imagine la série Le prisonnier qui rencontre Philémon en passant par Vertigo de Hitchcock!" C’est ainsi que Bertrand Laverdure décrit, amusé, son Bureau universel des copyrights. "C’est un roman package deal, poursuit-il, un peu comme les sacs à billes. On peut l’interpréter de différentes façons selon la bille qu’on va piger. Il y a du tourisme, de la littérature, des emprunts à la bédé ou au cinéma. Il y a même quelque chose d’heavy metal dans ce livre-là."
À la lecture, on fera la rencontre de personnages souvent issus de l’imaginaire collectif, dont un dans un contre-emploi particulièrement inusité. "J’étais en Belgique et là, j’ai eu l’idée de transposer le Schtroumpf farceur en personnage vraiment irritant. Déjà, quand j’étais jeune, c’était une entité qui représentait tout ce qui nous énerve dans la vie. Quelqu’un de trop comique, de trop avenant, de trop familier, qui rentre dans notre bulle sans trop qu’on le veuille. Alors j’ai décidé d’en faire une espèce de méchant patibulaire qui est un catalyseur pour propulser dans l’espace-temps."
De son propre aveu, le récit de Laverdure ne comporte aucune logique. Mais il se défend d’avoir nappé celui-ci d’onirisme. "Il n’a rien à voir avec le rêve ou le surréalisme. Ce sont des rencontres avec des robots, des personnes téléguidées comme dans un jeu vidéo. C’est une façon de représenter la nouvelle figuration des êtes humains. Ce sont des décors dans lesquels on évolue et ceux-ci constituent le théâtre de la vie."
Naturellement, cette mise en scène de l’existence aura grandement servi au thème central du roman: la liberté. "On vit dans un monde freak qui laisse croire que tout est possible, mais si c’était vraiment le cas, nous pourrions mettre notre vie sur pause. Si tu demandes à qui que ce soit si on vit dans un monde libre, il te dira que oui. Pourtant, si tu vis une année de cul ou tout va mal, tu ne peux pas faire un time out et arrêter tout autour de toi pour tout recommencer quand tu en auras le goût."
Dans Bureau universel des copyrights, on suit l’odyssée d’un narrateur transporté brusquement, et ce, malgré lui, d’un endroit à l’autre. Ainsi, il se retrouvera confronté à un angoissant questionnement: dans quelle mesure nous appartenons-nous? "On est toujours en train de tomber, mais on ne s’en rend pas compte. On tombe de façon circulaire comme dans une espèce de spirale ou un vortex. On est dans un vertigo continuel. On est une vis sans fin qui traverse une planche de bois et, arrivé au bout de celle-ci, ça fait un "tak" et on se perd. Ce sont des constatations hyper nihilistes, mais dans un contexte humaniste où on ne peut pas vivre sans les autres. Heureusement, le plaisir de la représentation, de l’imaginaire et de la poésie sont là pour nous y accompagner."
Usant de jeux narratifs peu communs et de mises en abyme telles que la littérature à l’intérieur de la littérature, le roman dresse un portait doux-amer de la place du livre au sein de la culture. "On intervient de plus en plus dans les oeuvres des artistes et ceux-ci sont de moins en moins des entités solides. Éventuellement, on va pouvoir faire du tourisme dans les univers littéraires. Par exemple, si on ne veut pas se taper toute l’oeuvre de Proust, on va payer mille piastres pour visiter tous les best of d’À la recherche du temps perdu et pouvoir parler avec les personnages."
Si un tel forfait pour Bureau universel des copyrights existait, on choisirait sans aucun doute la visite complète.
Bureau universel des copyrights
de Bertrand Laverdure
Éd. La Peuplade, 2011, 142 p.
À lire si vous aimez /
Kurt Vonnegut Jr., David Lynch
“Avec ce quatrième roman, Bertrand Laverdure crée l’étonnement” . J’ai relevé cette sentence du quatrième de couverture … une personne avertie en vaut deux !
Il y a être étonné et il y a être dépassé. Personnellement, totalement dépassée j’ai été face à ce texte. Remarquez que j’ai choisi le mot « texte », non pas « histoire », parce que s’il y a une histoire, je suis passée à côté.
Essayons tout de même de situer un peu de quoi il s’agit, au meilleur de ce que j’en ai compris, c’est-à-dire pas grand-chose. Un être difficile à cerner, le narrateur, rebondit dans des histoires qui ressemblent à des parties de rêve. Vous savez quand on se retrouve à un endroit, puis à un autre, libre des contraintes de l’espace, du temps et de la matière ? Avec la présence d’une part de matière d’accord, mais dont les contours sont flous et flexibles, variant au gré de … je ne sais pas trop quoi. Les règles de la vie connue sont abolies, exercice ardu pour mon petit cerveau qui essayait de comprendre. Quoi de mieux à faire à ce moment-là que d’abandonner là son cerveau, me direz-vous, et de se laisser voguer. J’ai tenté de le faire, ne serait-ce que pour soulager ma souffrance ! J’y suis arrivé de manière sporadique, en me repaissant du style que je ne pouvais m’empêcher d’admirer. Le mot juste qui tombe au bon moment, le vocabulaire rebondissant, son rythme propre, son dynamisme saccadé.
Je m’interroge encore sur le pourquoi du comment ai-je fini par m’irriter de cet être se promenant dans un monde sans loi ? J’aurais pu le prendre pour ce qu’il était un être de mots qui m’amène à vivre des sensations fortes ou fluides, des ambiances surréalistes ou vaporeuses. Je crois que le nombrilisme du narrateur m’a perturbé. Dans un monde si vaste, sans règle, où le regard aurait pu enrober largement l’univers, l’action revenait inlassablement à son lui. Son petit lui à lui. Pareil aux rêves finalement où, les actions sans fondement logique et les personnages incohérents sont au seul service du « moi » qui règne, le rêveur.
Et ce rêve titré « Bureau universel des copyrights » est angoissant. À répétition, des éléments destructeurs extérieurs « X » secouent cette forme fluctuante et lui fait des misères. Il tombe, s’effondre, se relève, repart à zéro et ainsi de suite. Ce refrain redondant parcourant cette folle symphonie m’a eue à l’usure.
Cependant, jusqu’à la dernière ligne, j’ai salué la maîtrise du langage. C’est malheureux que la forme si belle n’ait pas arrivé à me faire apprécier le fond. J’ai mes limites de lectrice, je pourrais même dire de voyageuse, surtout sans guide ni repère dans l’univers disjoncté des autres.
Nota bene : J’apprécie énormément que cette maison d’édition, La Peuplade, fasse appel à des artistes d’ici pour les illustrations de leur couverture. Cette fois, l’oeuvre est du réputé Lino.