Catherine Mavrikakis : Les derniers jours de Smokey Nelson
On le savait déjà, l’auteure du Ciel de Bay City connaît intimement les États-Unis, en comprend les idées fixes et les contradictions. En s’intéressant à la peine capitale, sujet qu’elle explore à travers des personnages entretenant des liens divers avec Smokey Nelson, un condamné à mort, Catherine Mavrikakis dit beaucoup sur les ratés du rêve américain, les rapports encore tendus, et plus souvent qu’on ne le croit, entre les Blancs et les Noirs, le fanatisme religieux made in USA… On entre d’abord dans l’univers de Sydney Blanchard, un gars de La Nouvelle-Orléans qui vit maintenant à l’autre bout du pays, accusé autrefois du crime dont Nelson a ensuite été reconnu coupable. On connaîtra ensuite Pearl Watanabe, dont la trajectoire avait croisé celle du tueur, sans qu’elle ne le sache, peu après qu’il eut tué deux enfants et leurs parents. Puis intervient un narrateur des plus troublants, qui n’est autre que Dieu, version violente, Ancien Testament, qui promet au père de l’une des victimes – la mère des enfants – de venger le quadruple meurtre. Nous voilà enfin tout au bout du couloir de la mort, dans lequel Smokey avance depuis une vingtaine d’années maintenant. Si la thématique est grave, le texte demeure d’un bout à l’autre fluide, souvent coloré, au plus près du tempérament des personnages. En résulte un roman difficile à lâcher, qui s’adresse à un public plus large que la plupart des titres de Mavrikakis. Coup-de-poing. Éd. Héliotrope, 2011, 311 p.
Catherine Mavrikakis. Les Derniers Jours de Smokey Nelson.
Les Derniers jours de Smokey Nelson aborde la thématique de la peine de mort en vigueur dans 34 états américains. Apparenté à De Sang froid de Truman Capote, le roman s’attarde aux derniers jours de Smokey Nelson, un noir de 19 ans, qui a décimé une famille de deux enfants dans une chambre d’un motel d’Atlanta. Reconnu coupable, il attend depuis 20 ans l’exécution de sa sentence. L’auteure déborde le sujet pour englober ceux qui, de près ou de loin, sont reliés à cet incident tragique. À tour de rôle, chacun des personnages raconte comment le massacre de l’assassin le concerne.
D’abord apparaît Pearl Watanabe, qui découvre les corps dans le motel où elle travaillait. Pour évacuer ce drame, elle est retournée vivre à Hawaï, son état natal. Mais 20 ans plus tard, le temps la rattrape quand elle se rend à Chattanooga au Tennessee sur l’invitation de sa fille. Son séjour coïncide avec le jour de la mort de Nelson. Des souvenirs troublants ressurgissent d’autant plus qu’elle avait rencontré le meurtrier dans le parking du motel. Elle l’avait même trouvé charmant. Comment se débarrasse-t-on de ce souvenir quand un cœur a battu pour un meurtrier ? Aimer un noir, c’est presque honteux. Mais à Hawaï, les sangs-mêlés, comme Obama, passent plutôt inaperçus. Pearl, elle-même, est née d’un père japonais, qui a tenu à ce que sa fille efface par son prénom les stigmates de Pearl Harbor.
Elle peut cependant se consoler d’avoir évité la peine de mort à Sydney Blanchard, un noir de la Nouvelle-Orléans, qui fut emprisonné quelque temps avant qu’elle n’identifie Nelson comme auteur du crime. Vingt ans plus tard, ce dernier revient de Seattle après s’être recueilli sur la tombe de son idole Jimi Hendrix. Du même âge que le meurtrier, il ne peut oublier d’y avoir été associé. La poisse lui colle à la peau. Ses rêves se dissipent comme les nuages sous l’action du vent. Peut-il être noir et devenir un Jimi Hendrix même si le talent est complice de l’objectif ? Peut-il aspirer au bonheur quand, de plus, sa ville a été emportée par l’ouragan Katrina. Et pourtant il ne s’imagine pas ailleurs qu’à la Nouvelle-Orléans. À travers lui, l’auteure trace le sort des noirs, impuissants devant une nature et une culture qui les anéantissent.
Et quand on est le père de la mère de cette famille abattue froidement, comment se résigne-t-on quand la loi du talion crie vengeance ? Il reste les consolations de la foi en un Dieu aux voies impénétrables.
Et Smokey Nelson, qu’a-t-il à dire pour se justifier ? Rien. Il attend la mort avec résignation, voire même avec plaisir. Ce sera la fin de son cauchemar. « Un vrai bonheur ! » Passer vingt ans derrière les barreaux est un calvaire pour lui et pour ceux qui l’ont côtoyé. Et c’est encore pire quand on est la sœur d’un homme qu’on aime malgré tout.
En somme, l’auteure raconte comment la vie américaine coupe la population de l’historicité que les individus voudraient se donner. Le racisme, la violence, la pauvreté, l’économie et la religion les empêche de s’accomplir entièrement. Seule la fille de Pearl croit encore béatement au rêve américain.
Ce roman frise la perfection. Bien ficelé, il raconte comment la vie peut être pénible même si la bonté sommeille dans le cœur des Américains. Cependant il aurait fallu que le profil psychologique de Smokey Nelson accorde plus d’importance à l’amont de sa personnalité.