Sophie Bienvenu : Amours interdites
Sophie Bienvenu aborde le délicat sujet des relations sexuelles entre adultes et mineurs dans un roman explosif cultivant les fausses pistes: Et au pire, on se mariera.
"Anyway", "whatever", "genre", "crisse"… Un certain vocabulaire a beau lui manquer, Aïcha n’a pas la langue dans sa poche. Dans l’entretien volubile qu’elle accorde à une travailleuse sociale et qui a des allures de déposition, la jeune fille de 15 ans fournit sa version d’un drame survenu chez Baz, trentenaire avec qui elle entretenait une liaison et qui se trouve à présent derrière les barreaux. Vérité ou mensonge que ce long monologue qu’elle débite dans le but de venir en aide à celui qu’elle considère comme l’amour de sa vie? En attendant une réponse qui ne viendra pas, on en saura davantage sur son rapport avec un homme qui, après l’avoir sauvée d’un viol, l’a séduite par sa gentillesse, ses accords de guitare et sa bonne cuisine…
Dans ce premier roman de Sophie Bienvenu, on oscille constamment entre différentes versions de la même histoire qui se bousculent dans le discours de son héroïne, adolescente tout ce qu’il y a de plus rebelle et dont le besoin d’amour fusionnel trouve à s’exprimer par le biais de formules-chocs. Bienvenu, qui signe la série-feuilleton (k) à La courte échelle, apparaît ici comme une sorte de Salinger ou de Sylvain Trudel au féminin. Sa langue crue et curieusement poétique sert à merveille ce chant d’amour hors-norme, un amour en partie charnel dont on ne saura jamais vraiment s’il a été consommé ailleurs que dans l’imagination d’Aïcha.
Les pressions exercées par celle-ci pour faire l’amour avec Baz ont-elles vraiment eu raison des réticences morales du jeune homme? A-t-elle vraiment, plus jeune, été agressée sexuellement par son beau-père, ce beau Hakim dont elle était également amoureuse? Peu importe: on est ici dans le domaine littéraire, et qui plus est du roman. Davantage que choqué par le sujet, le lecteur sera déstabilisé par la parole vive et par les contradictions d’Aïcha, qui modifie sans cesse les confidences livrées en mode urgence à son interlocutrice silencieuse, tant en ce qui a trait à elle-même qu’en ce qui concerne sa mère à qui elle voue une haine tenace.
Premier titre à paraître à La Mèche (nouvelle maison d’édition fort prometteuse que dirige Geneviève Thibault), Et au pire, on se mariera propose en outre un tableau inquiétant du quartier Centre-Sud où évolue Aïcha qui n’a pour uniques amies que Mélissa et Johannie, deux prostituées du coin. Entre la peur de marcher sur une seringue et ses fantasmes de fin du monde, la jeune mésadaptée trouve dans les bras de son protecteur une sorte d’asile, un amour que, sans recourir à aucun discours moral, Sophie Bienvenu nous invite simplement à comprendre de l’intérieur.
Et au pire, on se mariera
de Sophie Bienvenu
La Mèche, 2011, 152 p.