Denis Vaugeois : Secrets de famille
C’est avec une brique sous le bras, Les premiers Juifs d’Amérique, 1760-1860. L’extraordinaire histoire de la famille Hart, son oeuvre-somme, que Denis Vaugeois passe le tourniquet du Salon du livre de Montréal.
Tous les ingrédients du roman à scandale sont réunis – l’argent, l’ambition, même le sexe débridé – et pourtant, l’ascension du clan Hart, dynastie juive ayant prospéré à Trois-Rivières, demeure confinée aux marges de l’histoire. Un épisode méconnu du Canada d’après la Conquête que Denis Vaugeois documente et commente depuis 1959. "Mon livre mène trois récits de front: celui de l’essor d’une famille sur le continent américain, celui de mon propre parcours et, de manière sous-jacente, celui de l’évolution des moyens de recherche", note l’un des plus précieux vulgarisateurs du Québec moderne.
N’hésitant pas à parler "d’une population qui, loin d’être pure laine, s’est forgée dans un véritable creuset de métissage", l’invité d’honneur du Salon du livre dessine en creux le portrait d’une nation aux racines plus inclusives que certains aiment le laisser entendre (les Ursulines priaient pour Aaron Hart, le père, un des bienfaiteurs de leur communauté, soulève-t-il, amusé). "Déjà en Nouvelle-France, le petit noyau qui parlait français intégrait les gens qui venaient des régions de la France où on ne le parlait pas. L’Église a longtemps cultivé une forme de crainte, pour protéger ses ouailles de la contamination religieuse, ce qui nous a fait perdre de vue que les traits culturels des Québécois sont souvent empruntés. Mais il ne faut pas oublier que les gens, eux, au quotidien, étaient naturellement inclusifs. Bien des Trifluviens ne savaient pas de toute façon que les Hart étaient Juifs."
Père du plan de développement des bibliothèques publiques, l’ex-ministre des Affaires culturelles sous René Lévesque rappelle le rôle majeur qu’ont joué et que continuent de jouer ces institutions de savoir et d’histoire dans la diffusion de la culture, un des nerfs de la guerre à l’analphabétisme. "Je raconte souvent que lorsque ma famille est arrivée à Trois-Rivières, le hasard a fait qu’entre ma maison et l’école, il y avait une bibliothèque des jeunes, ce qui était très rare. Mais sinon, tout le monde d’une certaine génération a la même histoire à raconter: il n’y avait pas de livres chez eux. Aujourd’hui, il y a de bonnes bibliothèques partout. La bibliothèque prolonge l’école. S’il n’y a rien après les heures de classe, les jeunes tombent dans le vide."
Les premiers Juifs d’Amérique, 1760-1860. L’extraordinaire histoire de la famille Hart
de Denis Vaugeois
Éd. du Septentrion, 2011, 378 p.