Beaux livres : Par le trou de la serrure
Noël culturel

Beaux livres : Par le trou de la serrure

Ils sont de retour. Avec les premiers flocons viennent les beaux livres, qui se bousculent en librairie dans l’espoir d’atterrir bientôt sous le sapin. Coups de coeur de la  rédaction.

Sempé: Enfances

de Jean-Jacques Sempé et Marc Lecarpentier

"J’ai eu une enfance pas drôle du tout. C’est sûrement pour ça que j’ai aimé les choses gaies." Tirée d’un long entretien avec le journaliste Marc Lecarpentier, placé au coeur du livre, cette phrase en dit long sur Jean-Jacques Sempé. Enfances, condensé en mots et surtout en images de mille enfances bordelaises, c’est d’abord l’occasion pour le dessinateur de revisiter, sourire en coin et en y accrochant le soleil de l’humour, sa prime jeunesse à lui. On y entend les disputes de ses parents, les claques derrière la tête, mais aussi la musique de la grande ville et les rires étouffés des amitiés de gamins. Celui qui créait Le petit Nicolas en 1959, avec son ami René Goscinny, regroupe ici des planches anciennes et plus récentes, pour la plupart inédites, dont les lignes pures et les traits d’esprit délestent le lecteur de quelques décennies. Superbe. Éd. Denoël et Martine Gossieaux, 2011, 300 p. (T. Malavoy-Racine)

Solo 30×30

Aéré et géométrique, à l’image du Solo 30×30 qui a mené Paul-André Fortier à danser dans divers lieux inusités à travers le monde (d’une place publique à Rome ou à Yamaguchi jusqu’à un pont de New Castle, en passant par un terrain vacant de Montréal), le livre publié par la compagnie Fortier danse-création, qui célèbre son 30e anniversaire, et la Galerie de l’UQAM fait partie des rares incursions livresques dans le monde de la danse québécoise. Créée en 2006, la chorégraphie de 30 minutes présentée pendant 30 jours consécutifs est "une manière inédite de créer une oeuvre publique où se négocient le risque et l’inconnu", selon Louise Déry, qui signe un éclairant texte inspiré par "l’homme qui danse". Accompagné d’une série photographique de Yann Pocreau qui marie joliment le corps et l’architecture, l’ouvrage pose un oeil sobre et parfois analytique (avec le texte un brin alambiqué de Guylaine Massoutre) sur l’oeuvre du doyen des danseurs québécois qui a su tirer de son art la substantifique moelle. Éd. Galerie de l’UQAM et Fortier danse-création, 2011, 125 p. (E. Pépin)

Le cinéma italien
de Jean A. Gili

Le cinéma italien débarquant trop peu souvent sur nos écrans, on ne pourrait se passer de ce fascinant "voyage en Italie" auquel nous convie Jean A. Gili, spécialiste émérite du cinéma transalpin. En plus d’analyser une centaine de films, de L’inferno (1911) de Bertolini et Padovan à Habemus Papam (2011) de Moretti, Gili résume brillamment plus de 100 ans d’histoire mouvementée d’un cinéma qui connut de grands courants, tel le néoréalisme et ses figures de proue Rossellini (Rome, ville ouverte) et De Sica (Le voleur de bicyclette), et son âge d’or grâce aux Fellini (La dolce vita) et Antonioni (L’avventura). Avec la disparition des grands cinéastes dans les années 70 et 80, dont celle, prématurée, de Pasolini (Salò ou les 100 journées de Sodome), l’Italie connut une période creuse jusqu’à l’arrivée récente des Sorrentino (Il divo) et Garrone (Gomorra). Éd. de La Martinière, 2011, 360 p. (M. Dumais)

AC/DC High-Voltage Rock’n’Roll: l’ultime biographie illustrée
de Phil Sutcliffe

Journaliste pour Mojo, Q, The Los Angeles Times, Blender et Sounds, le Britannique Phil Sutcliffe raconte ici la sulfureuse histoire d’AC/DC. Sueur, grimaces, bières, Gibson SG et amplis Marshall sont au programme puisque 400 photos illustrent le récit traduit en français, principalement des images en concert ou d’affiches de spectacles. Certaines sont plutôt rares, datant des débuts du groupe, mais très peu nous offrent un regard nouveau sur la formation des frères Young. Ainsi, même s’il ne s’agit pas d’une biographie exhaustive, le texte de Sutcliffe retient davantage l’attention avec ses multiples anecdotes, citations et impressions personnelles; les photos devenant un complément, un répit pour les yeux. Chaque album y est décortiqué. Le fan appréciera autant que le néophyte. Éd. du Chêne E/P/A, 2011, 224 p. (O. Robillard Laveaux)

50 Photo Icons. L’histoire derrière les images
de Hans-Michael Koetzle

"Fixer les images fugitives" aura été l’obsession de plusieurs avant que Niépce n’y parvienne au début du 19e siècle. Depuis, la révolution de l’image a été fulgurante. Dans 50 Photo Icons, Hans-Michael Koetzle se penche sur le pouvoir évocateur du support photographique dans un tour d’horizon captivant ciblant les photographies phares qui ont forgé l’imaginaire collectif, depuis le premier souffle du 8e art jusqu’à aujourd’hui. La sélection étudiée, mise en contexte par des textes fouillés, donne lieu à un dialogue riche entre l’objet et son artisan, entre la petite histoire du cliché et l’écriture visuelle de la grande. Hommage senti aux patriarches de la discipline, ce voyage chronologique nous mène à la rencontre des piliers des grands mouvements photographiques tels Stieglitz, Capa et Cartier-Bresson. Une analyse fine et enrichissante. Éd. Taschen, 2011, 304 p. (K. Béland)

George Harrison: Living in the Material World
d’Olivia Harrison

La veuve de George Harrison, Olivia, a fouillé dans ses archives pour rassembler des centaines de photographies de son mari (bien souvent inédites) dans ce livre à la courte préface signée Martin Scorsese. De son Liverpool natal meurtri par la Seconde Guerre mondiale à ses visites dans les coulisses de la F1, non sans quelques voyages en Inde, on découvre Harrison à travers ses passions, le voyant jouer au tennis avec Bob Dylan en 69 ou dans les ruines de ce qui allait devenir son manoir de Friar Park. On y trouve également des lettres écrites à ses proches au plus fort de la Beatlemania. La proximité avec le musicien est si forte qu’on se sent presque voyeur, mais puisqu’on nous l’offre… Éd. de La Martinière, 2011, 400 p. (O. Robillard Laveaux)

Onze femmes face à la guerre
de Nick Danziger

En 2001, le photographe Nick Danziger réalisait, dans le cadre d’une étude du Comité international de la Croix-Rouge, le portrait de 11 femmes vivant les conséquences de conflits armés. Dix ans plus tard, le reporter faisait des pieds et des mains pour les retrouver et reprendre le fil de leur histoire. Le sort de la plupart d’entre elles s’est amélioré: la survie de la famille assurée, le processus de deuil amorcé, les blessures pansées… Certaines ont retrouvé le goût à la vie, comme cette Mariata de la Sierra Leone, amputée des deux mains, aujourd’hui étudiante à Toronto. Nul ne sait toutefois ce qu’il est advenu de Mah Bibi – "cheffe" de famille à 10 ans, trois bouches à nourrir – qui illustre la couverture du livre, regard poussiéreux et peau marquée par la souffrance. Aussi magnifiques que bouleversants, les clichés s’accompagnent de légendes écrites au "je". Autant de témoignages poignants qui confirment que les conflits persistent et que les femmes en portent toujours le fardeau. Éd. du Passage, 2011, 192 p. (M. Proulx)

Habibi
de Craig Thompson

Cela faisait six ans que les amateurs de romans graphiques l’attendaient. L’auteur américain Craig Thompson revient enfin avec un splendide ouvrage intitulé Habibi. Après Blankets – Manteau de neige et Un Américain en balade, le dessinateur, dont le graphisme est devenu plus pointu, emmène cette fois-ci le lecteur dans un univers oriental. Naviguant entre l’époque des sultans et une ère industrielle moderne en déroute, le récit suit Dodola et Zam, deux enfants devenus adultes dont l’amour réciproque naîtra au fil des pages. Dans l’épave d’un bateau échouée en plein désert ou dans l’enceinte des murs inviolables d’un harem, les deux personnages se suivent, se perdent et se retrouvent, sans cesse menacés par le monde cruel qui les entoure. Heureusement, Dodola puise des histoires réconfortantes dans le Livre sacré et les traditions orientales mêlant djinns et prophètes. Une aventure digne des Mille et une nuits. Éd. Casterman, 2011, 670 p. (G. Reyt)

Dire et faire l’amour. Écrits intimes et confidences de 1910 à 2010
d’Anne-Claire Rebreyend

Passion ardente, désirs inassouvis, amours refoulées, peur devant l’inconnu et même répulsion… que s’est-il passé dans la chambre à coucher des Français de 1910 à 2010 une fois la lumière éteinte? L’historienne Anne-Claire Rebreyend se glisse sous les draps de ses contemporains et s’attaque à cette vaste question dans le survol d’un siècle de comportements amoureux de l’autre côté de l’Atlantique. Grâce à des fragments d’intimité recueillis dans les écrits privés d’anonymes au cours du dernier siècle, elle nous livre sans censure des correspondances enflammées et des confidences brûlantes pour en tirer un portrait sociologique bien ficelé. Alimenté par de multiples photos, l’ouvrage retrace de façon éloquente le parcours semé d’embûches qui mena vers la libération sexuelle. Un livre plus instructif que coquin. Éd. Textuel, 2011, 189 p. (K. Béland)

Art québécois et canadien
sous la direction de Jacques Des Rochers

Il y a quelques semaines, le Musée des beaux-arts de Montréal connaissait l’une de ses évolutions les plus marquantes avec l’ouverture du pavillon Claire et Marc Bourgie, dédié à l’art d’ici. À cette occasion paraissait un livre de facture exceptionnelle, mettant en valeur les oeuvres de la très riche collection d’art québécois et canadien du musée. Rendez-vous avec Tom Thomson, Alexander Y. Jackson et leurs complices du Groupe des Sept, avec le Groupe de Beaver Hall, mais aussi Alfred Pellan, Paul-Émile Borduas, Jean-Paul Riopelle, Betty Goodwin et autres artistes exposés dans les nouveaux espaces du MBAM, dont nous rappelons que l’entrée est libre en tout temps. Soulignons la qualité des commentaires ici regroupés, ceux entre autres de Stéphane Aquin, Diane Charbonneau, Gilles Daigneault et Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef, laquelle souligne avec à-propos, dans son introduction, que "si l’enseignement de l’histoire de l’art québécois et canadien n’est pas ici une priorité, il ne le sera nulle part ailleurs". Un passage non obligé mais chaudement recommandé avant – ou après – votre visite. Musée des beaux-arts de Montréal, 2011, 400 p. (T. Malavoy-Racine)

Dans l’intimité des peintres
de Jean-François Chaigneau

"Ah! Si Paris Match avait été là!" Pour tous les peintres qu’elle n’a pu croquer avant d’exister, la célèbre revue française propose des photos et des entrevues exclusives avec d’illustres peintres du 20e siècle. Les Chagall, Picasso, Matisse, Dalí, Miró, Cocteau, Botero sont ici photographiés dans leur atelier, au travail, en compagnie de leurs muses ou de leur famille… Des clichés d’une rare intimité: Matisse dans son lit, malade, quelques mois avant de mourir; une jeune et gracieuse Brigitte Bardot qui pose pour Kees van Dongen; Picasso lisant des bandes dessinées, peinard, alors que son chien boxer le fixe. D’autres révèlent leur nature profonde: l’obstination d’un Balthus qui peignit jusqu’à son dernier souffle; l’amour infaillible que portait Bernard Buffet à sa femme; la façon qu’a Salvador Dalí de contrôler aussi bien son image que le photographe! De quoi nourrir sa fascination pour ces créateurs de génie en les espionnant par le trou de la serrure. Éd. Glénat, 2011, 208 p. (M. Proulx)