Véronique Marcotte : L’amour fait mal
Véronique Marcotte détricote une invraisemblable histoire vraie dans Aime-moi. Rendez-vous privilégié avec une écrivaine téméraire.
La scène a un je-ne-sais-quoi de lynchien. Dans la pénombre de la loge du cabaret où Véronique Marcotte, écrivaine et metteure en scène de plus en plus sollicitée, supervise aujourd’hui les répétitions d’un spectacle corporatif, nous nous assoyons pour discuter. Moi, les fesses sur le rebord d’une coiffeuse, elle, dans une chaise rococo-léopard, les jambes repliées sous les fesses, la main ébouriffant souvent sa tignasse noire gothique. Peut-être est-ce une manière d’inviter dans notre alcôve l’ombre de Maëlle, personnage principal de son plus récent roman, Aime-moi, enfant sauvage qui communique en caressant les cheveux de Judith, celle qui tentera de l’apprivoiser.
Atmosphère glauque curieusement propice à la confidence: "Je fais encore des cauchemars. Je rêve que je suis au Salon du livre et que Maëlle fait la file pour venir signer son livre", confesse l’auteure de sa voix grave.
Récit fidèle d’un fait vécu (exempt cependant de la mièvrerie des téléfilms de Canal Vie), Aime-moi emprunte le sillon de la santé mentale que Marcotte creuse depuis son entrée en littérature. À une différence près: "Les revolvers sont des choses qui arrivent (son deuxième roman) était inspiré d’un fait divers. J’étais partie de là, mais ce n’était qu’un point de départ. Je m’étais promis que je ne ferais jamais une histoire vraie. C’est un ami qui m’a dit: ça vaut vraiment la peine que tu écoutes ce que Judith a à te dire. Je suis donc allée la rencontrer. Elle m’a parlé de ce qu’elle avait vécu avec Maëlle. Après, dans mon auto, j’ai fondu en larmes. Je me demandais ce qui s’était passé dans la vie de la petite pour qu’elle ait besoin de déranger une famille au complet. C’est une fraude émotive totale."
Difficile d’avancer loin dans cette histoire sordide, portée par trois narratrices, sans dégoupiller certaines des grenades qui exploseront au visage du lecteur. Contentons-nous simplement de ceci: Judith, une jeune femme sensible, tentera de sortir de sa torpeur Maëlle, une adolescente rendue muette par la secte (pensez Moïse Thériault) dans laquelle elle a grandi en martyre, victime des moindres accès de folie de sa famille. Mais est-ce bien ce mal qui la taraude?
"J’aurais aimé avoir inventé cette histoire-là pour en faire ce que je voulais. Par respect pour Judith, qui avait besoin de se libérer, j’ai promis que j’allais l’écrire telle quelle, mais qu’on allait reconnaître ma signature. Il n’y a rien là-dedans qui n’est pas vrai. J’ai construit le récit à partir d’échanges épistolaires et de six DVD d’images de Maëlle."
Au-delà de l’anecdote qui donne froid dans le dos, Maëlle, de manière extraordinaire, et Judith, dans une moindre mesure, se dressent comme de troublantes métaphores d’une société du spectacle carburant à la mise en scène de la résilience. Pourquoi Judith s’est-elle prise d’affection? "Parce que Maëlle est effectivement émouvante. Judith se sentait privilégiée qu’une enfant meurtrie s’abandonne à elle. L’autre raison, Judith ne me l’a jamais cachée: son chum et elle voulaient faire un documentaire. Elle semait dans l’espoir que ça lui soit rendu."
Aime-moi
de Véronique Marcotte
VLB Éditeur, 2011, 136 p.
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Aime-moi
Une histoire vraie, aussi tragique soit-elle, donne-t-elle forcément de la bonne littérature? C’est la question que soumet au débat ce quatrième roman de Véronique Marcotte, fidèle à sa démarche – elle est toujours descendue témérairement dans les profondeurs de la folie -, mais qui n’a pas la profondeur de champ de ses précédents livres. Perturbant, Aime-moi parvient à faire vivre les vertiges et nausées de Maëlle et Judith à son lecteur, lui infligeant au détour de violentes baffes. Dommage que l’écrivaine ait refusé d’infléchir le récit afin de lui donner une portée qui aurait dépassé l’anecdote. Prenons ce roman pour ce qu’il est: un émouvant appendice à une oeuvre qui a le rare courage d’aller voir de l’autre côté du miroir.
En introduction, l’auteure précise que cette œuvre découle d’un fait vécu. L’information vise moins à créer de l’intérêt pour cette histoire vraie qu’à donner de la crédibilité à un récit que l’on classerait plutôt dans un créneau fantastique.
L’héroïne est issue d’un milieu familial lourdement perturbé par une secte, dont les sévices à l’égard des enfants sont inqualifiables. Ils sont soumis à des dérèglements sexuels, voire même entraînés vers une mort horrible. Maëlle échappe miraculeusement aux mains de ses tortionnaires pour finalement être confiée à une femme empathique.
L’enfer se referme sur l’une pour mieux s’ouvrir sur l’autre. Accueillir une autiste légère de surcroît ne rend pas la tâche facile à une bienfaitrice résolue à combler les carences affectives de sa protégée. Crises de dissociation, tentative de suicide, tout y passe pour l’attacher exclusivement au service de la malheureuse. Cet attachement sans répit épuise Judith, qui tente de cheminer avec Maëlle vers une paix intérieure. Tâche qui devient impossible quand on veut se faire le sauveur d’une mythomane. Le mensonge n’indique que de fausses pistes. Des pistes qui ne peuvent que les perdre toutes les deux sur le chemin du salut.
Dans ce roman polyphonique, la narration est confiée à deux femmes aveuglées par les stratégies qu’elles mettent en œuvre pour fuir le malaise qui les habite. En fait, intéressée par les troubles mentaux, Véronique Marcotte tente de prouver que l’humanité vit dans une tour de Babel. Objectif atteint de ce point de vue. Tout en contournant le piège doctoral, il est dommage que l’auteure n’ait pas inclus son récit à l’intérieur d’un cadre qui le transcende. C’est sans compter que l’écriture se contente d’être le témoin d’un fait sans l’infléchir dans une démarche plus littéraire.
Marcotte, Véronique. Aime-moi. Éd. VLB, 2011, 131 p.