Bilan livres : Statu quo
Regard sur ce qui a marqué l’année livres. Et sur ce qui ne l’a pas fait.
Chaque année, quand vient le temps de cet exercice bilan, deux ou trois éléments incontournables me viennent immédiatement à l’esprit. Cette fois, non.
Il s’est passé mille choses sur la planète livres, plusieurs parutions nous ont absorbés dans leurs univers d’idées, de rêves et de papier, du singulier roman Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier (XYZ), dont les mots ont rallumé d’anciens feux du Nord ontarien, à Gaston Miron. La vie d’un homme, la très réussie biographie consacrée au Magnifique par Pierre Nepveu (Boréal), en passant par le bouleversant Plus haut que les flammes, des poèmes de Louise Dupré (le Noroît) en écho à d’autres feux, ceux de l’holocauste.
Mais des bouleversements, je n’en vois pas. Je vois surtout des choses qui n’ont pas changé, aussi ai-je envie de me concentrer moins sur ce qui est arrivé cette année que sur ce qui n’est pas arrivé. Un bilan en négatif, si vous voulez.
En 2011, les vents du conservatisme n’ont pas cessé de se faire mauvais pour les lettres, comme en témoigne le refus du Patrimoine canadien de reconduire une subvention que touchait depuis 2002 le toujours pertinent Festival international de la littérature (FIL). Annoncée six semaines avant le début de l’événement, la décision mettait en péril les finances d’un festival réputé pour sa saine gestion, qui plus souvent qu’autrement remplit ses salles. Plusieurs voient dans cette défection incongrue du ministère une réplique à peine voilée à Lettres recommandées, un spectacle présenté durant l’édition 2010, écho scénique aux très médiatisées suggestions de lectures adressées par Yann Martel à Stephen Harper.
En 2011, le parti au pouvoir dans le meilleur pays au monde – sous la houlette d’un PM qui, malgré lesdites suggestions, ne s’est toujours pas mis à lire autre chose que le Livre Guinness des records (son livre préféré) -, ce parti, donc, n’a toujours rien entendu des protestations du milieu contre le projet de loi C-32, visant à modifier la Loi sur le droit d’auteur. Projet rebaptisé C-11 mais toujours aussi peu favorable aux écrivains, qui verront leurs revenus directement affectés par les dispositions envisagées (plus d’info ici: cultureequitable.org).
En 2011, le livre électronique, dans lequel plusieurs ont longtemps vu une menace directe pour le livre d’encre et de pulpe, a connu une croissance par endroits spectaculaire (Amazon prétend vendre, actuellement, un million de liseuses Kindle chaque semaine!), mais au Québec, le marché n’a toujours pas décollé. D’ailleurs, votre humble chroniqueur, qui se dit depuis des lunes qu’il va s’y mettre, ne s’y est toujours pas mis.
En 2011, les gars n’ont pas fait aussi bien que les filles, comme en témoigne le tableau des médailles de l’année. Pendant que Perrine Leblanc gagnait le GG pour L’homme blanc (roman paru au Quartanier, puis repêché par la collection Blanche de Gallimard), que Louise Dupré mettait la main sur le GG poésie avec le recueil mentionné plus haut, qu’Élise Turcotte remportait le Grand Prix du livre de Montréal pour Guyana (Leméac), Jocelyne Saucier, le Prix des cinq continents de la Francophonie et Lucie Lachapelle, le France-Québec pour Rivière Mékiskan (XYZ), la gent masculine faisait plus souvent qu’autrement chou blanc, si on exclut le Gilles-Corbeil, prix hors catégorie remis tous les trois ans à un écrivain pour l’ensemble de son oeuvre, cette fois Victor-Lévy Beaulieu.
Terminons par un point positif: en 2011, le livre n’a toujours pas perdu son pouvoir de brasser la cage. Tandis que le procès opposant les éditions Écosociété à la multinationale aurifère Barrick Gold continuait de faire grand bruit, cette dernière contestant les critiques à son endroit que comporte l’essai Noir Canada (l’affaire s’est conclue en octobre par une entente « à l’amiable »), l’un des textes de Burqa de chair, livre posthume de Nelly Arcan, déchaînait les passions. Elle y décriait, sous l’angle d’une fiction que plusieurs ont confondue avec le réel, la manière dont elle avait été traitée sur le plateau de Tout le monde en parle en 2007.
Même à l’ère des empoignades virtuelles, rien de tel qu’un bon vieux livre pour déclencher la polémique!
ooo
TOP 5 / livres
1- Les derniers jours de Smokey Nelson, de Catherine Mavrikakis (Héliotrope)
Une photographie en haute définition de la société américaine et de son rapport à la peine de mort.
2- Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier (XYZ)
Dignité, amour vrai et quête de liberté sont au coeur de ce roman irrésistible, qui nous fait entrer dans une microsociété quasi coupée du monde.
3- Le sablier des solitudes, de Jean-Simon DesRochers (Les Herbes rouges)
En mettant une structure impeccable au service d’une histoire émouvante, celle de 13 individus dont les vies entrent en collision, au propre comme au figuré, le poète et romancier s’installe décidément parmi les incontournables.
2011 selon Jean-Simon DesRochers: « 2011, tu as été une année de cassures brutales, de printemps arabes qui portaient l’espoir sur les places des capitales, d’indignés qui hurlaient non au barbarisme économique. 2011 comme une chanson qui rêvait sans dormir. Chez moi, tu as couronné la noirceur, ce gouvernement autiste qui a laissé Kyoto couler en flamme au milieu des sables de l’Athabasca, qui a éliminé notre registre des armes d’épaule, qui a bâillonné la démocratie pour ses fantasmes de sécurité. Tu as effacé les voix qui disaient non, Layton qui n’y pouvait rien, Duceppe qui doit maintenant se relever. Tu as fragmenté les forces de ceux qui disent pays depuis la Révolution tranquille, tu ouvres sur une suite encore plus sombre, plus infecte. 2011, ne reviens plus. »
4- Guyana, d’Élise Turcotte (Leméac)
Un roman splendide, qui gravite autour des thèmes de la mort et du suicide, mais où l’on entend la vie pulser fort entre les lignes.
5- Arvida, de Samuel Archibald (Le Quartanier)
Coup de coeur pour ce livre sans équivalent, imprévisible, qui distille des « histoires » où s’entremêlent réalité saguenéenne et imaginaire débridé.