Mylène Benoit : Les jours qui penchent
Dans une cabane sise au bord d’une mer bruyante, habite une tisserande âgée prénommée Ma, ermite ayant quitté le monde des hommes pour se consacrer à son travail et attendre la mort. Lorsque vient frapper à sa porte le vieux Jaal, qui se plaint d’une rage de dents, les deux conviennent que l’homme pourra rester jusqu’à ce qu’elle ait terminé la pièce qu’elle est en train de tisser. Et tandis que les jours passent, Ma et Jaal commencent à s’habituer à la présence de l’un et de l’autre, habitude alimentée par les rumeurs que Jaal rapporte chaque jour d’un village voisin où Ma refuse obstinément de se rendre. Dans ce premier roman tout en intériorité et placé sous le signe du secret, Mylène Benoit revisite quelques grandes figures mythiques. Pénélope vieillissante, Ma trouve un certain réconfort dans les récits de cette Shéhérazade au masculin qui, tout en freinant son travail, la sortiront peu à peu de son mutisme. Premier roman de l’écrivaine montréalaise, Les jours qui penchent se présente ainsi comme une sorte de méditation sur le temps dont le passage est associé à la laine que l’on file. Méditation lyrique rendue par un phrasé habile (y compris dans le compte rendu des silences) et dont la poésie donne chair à ces êtres énigmatiques, tous deux porteurs d’un drame irrésolu. Une des belles découvertes de la dernière saison littéraire. Éd. Triptyque, 2011, 165 p.
« La mer fait un de ces vacarmes » qu’il faut être attentif pour entendre les pas qui s’amènent, les mots qui s’échappent au hasard d’une rencontre fortuite, les bruits de la routine comme le couteau qui court sur la tartine du matin. Le bruit enterre la vie autant que « le soleil s’en retourne à vau-l’eau ». Il faudrait empêcher le sablier de compter « les jours qui penchent ». Ô temps, suspends ton vol », disait Lamartine. Hélas, on ne peut être « porté par le char de l’Aurore ».
Le temps passe. Que reste-t-il de tout ce temps ? Quand le vent frappe à la porte de Ma, une vieille tisserande, elle le laisse entrer pour qu’il passe la nuit avant de reprendre son chemin. Mais le vieil homme prend racine. Il explore même l’espace perdu où Ma s’est enfuie. Il découvre l’univers maritime dans le village fictif de Cairn. Peu à peu, il devient le cairn de la vieille femme, c’est-à-dire une mont-joie, qui lui sert de balises pour retrouver son chemin, perdu depuis la mort de son frère. Un souvenir qui la poursuit sans cesse. Grâce à ce vieil homme, elle renoue avec la vie. Elle découvre le village à travers les pans de l’existence qu’il lui narre pour les avoir entendus au magasin de Palu. Ma se joint en esprit à ce concert de la vie qui bat, voire y participer grâce à ce qu’elle tisse.
Ce conte est une invitation à trouver le sens de l’existence. Mais pour en profiter, il faut aimer la poésie.