Martine Delvaux : Les cascadeurs de l’amour n’ont pas droit au doublage
En fuite dans ce camp de réfugiés de l’amour-passion qu’est Rome, une femme trempe sa plume dans les cendres encore fumantes d’une rupture et rembobine la cassette afin de comprendre comment la comédie romantique ensoleillée s’est transformée en film d’horreur asphyxiant, comment le coup de foudre de sa vie l’a mise knock-out. Déçue de son propre aveuglement, elle s’autoflagellera comme elle vitupérera ce séduisant Tchèque qui semblait avoir migré de bon coeur au Québec, mais qui allait finir par amalgamer détestation de soi et détestation de l’autre (sa haine réactionnaire de Montréal, emblème de la déchéance du Nouveau Monde, lève le coeur) dans un cocktail mortifère auquel s’abreuverait le trou noir de leur relation pourrissante. Ce choc frontal entre l’intime et le social, allié à un luxe de références aux grands textes de la littérature universelle et à l’Histoire, singularise un sujet à ce point exploité qu’il convient presque de parler de genre (Martine Delvaux est passée maître dans l’art de mettre au jour la complexité de relations en apparence simples; relire le prenant C’est quand le bonheur?). Le rejet catégorique de la pornographie émotive dans laquelle se sont vautrées bien des autofictions inspirées de drames semblables, s’il mérite d’être loué, trace cependant les limites d’un beau roman qui entretient un certain flou autour de la colère limite clinique de l’amant maintenant, comme un cordon de sécurité, un fossé un peu trop grand entre le lecteur et la scène de l’accident. Éd. Héliotrope, 2012, 172 p.