Charlotte before Christ : Live forever
Alexandre Soublière montréalise le roman d’apprentissage yuppie avec Charlotte before Christ.
Oubliez tout de suite les sottises pseudo-sociologiques que l’on ânonnera pour vous vendre Charlotte before Christ. Alexandre Soublière n’est pas le porte-parole des Y, son premier roman, pas un témoignage générationnel. Retenez plutôt ceci: avec Charlotte before Christ, Soublière importe enfin au Québec le roman yuppie/décadent, nourri aux mamelles cynico-romantiques du rock et du cinéma, qui a propulsé le Brat Pack littéraire (Bret Easton Ellis et Jay McInerney) au firmament cocaïné des lettres américaines il y a plus de 25 ans.
Sacha est friqué (merci, papa), outrecuidant et "malveillant". Un rebelle sans cause pas tout à fait sympathique qui dédaigne la pauvreté et ne traînera sous aucun prétexte sa carcasse bien fringuée dans un quartier comme Hochelaga-Maisonneuve. Charlotte est jolie, tête en l’air et fauve. "Comme la toune des Velvet Underground, j’suis la Femme fatale", dira-t-elle, mesurant bien son effet. Ensemble, les amoureux assistent à des fêtes clandestines, tournent des vidéos pornos maison et consignent leurs projets dans un Black book. Un serment grave comme l’adolescence scelle leur union: "Ne pas se survivre l’un à l’autre". Dans un Montréal de la jeunesse insouciante et oisive, Soublière croise donc, sans éviter la détonation atomique, deux feux alimentés ad infinitum par les giclées d’essence du passé (elle panse les plaies vives d’une enfance d’indigence) et de l’avenir (il sait son futur hypothéqué par la maladie de Still).
Oubliez aussi tous les constats linguistiques auxquels ce livre servira de prétexte. Certes le reflet d’un certain pidgin montréalais, l’écriture ironique et référentielle de Soublière, mélange de français, d’anglais et de langage texto, est surtout affaire de rythme, d’impact, de rock (les quelques fausses notes s’excusent vite; on n’arrache pas à une guitare le riff insidieux sans parfois casser une corde).
Avant de disparaître dans le couchant auréolé du sentiment d’invincibilité que confère la passion cannibale, le couple autodestructeur sèmera dans son sillon peur et victime collatérale. Soublière aura entre-temps remixé avec panache le scénario du garçon tentant de domestiquer la jeune fille follement libre et déguisé en vérité blindée un mensonge vieux comme le monde: l’amour triomphe de tout. Paraphrasons le groupe Oasis que Sacha aime tant: "They see things we’ll never see / Him and her are gonna live forever".
Charlotte before Christ
d’Alexandre Soublière
Éd. Boréal, 2012, 224 p.