François Blais : Les perdants magnifiques
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François Blais : Les perdants magnifiques

François Blais renoue avec sa tribu de sympathiques flancs mous dans Document 1.

Tess assemble des sous-marins dans la succursale de Subway la moins lucrative de la province (celle de Grand-Mère). Son coloc et frère spirituel Jude "casse du Boche et du Japonais" à longueur de journée devant Call of Duty. Beau duo d’irrécupérables drop-outs qui aurait tout pour inspirer à Lucien Bouchard une autre de ses harangues hystériques. "Ça ressemble à un roman de François Blais, ça!" dites-vous. Bingo! Double-cliquez et entrez dans Document 1 (selon le nom que Microsoft Word attribue par défaut à un nouveau texte).

Adeptes d’une forme de voyage virtuel consistant à se laisser dériver sur Google Maps et à zoomer sur les hameaux aux toponymes les plus ahurissants, Tess et Jude végètent solide jusqu’à ce qu’"[u]n jour, je ne sais plus trop à quel sujet, j’ai dit: "Ouais, il faudrait bien y aller, hein?" et j’ai été étonnée par la conviction dans ma propre voix". Onde de choc dans l’appartement de la 5e Avenue, assez forte pour désencroûter les éternels velléitaires qui éliront Bird-in-Hand, Pennsylvanie, comme destination vacances (Pourquoi Bird-in-Hand? "Parce que."). Le fric se faisant rare, ils improvisent une demande de bourse au Conseil des arts du Canada pour la rédaction d’un récit de voyage, tentative éhontée de passer à la banque sans effort que viendra contresigner le prête-nom Sébastien Daoust, docteur ès lettres et seul écrivain patenté dans les parages qui, ça tombe bien, en pince pour Tess.

Si François Blais réécrit presque chaque fois le même livre rempli de traîne-savates dotés d’une culture folle, il élève indéniablement son jeu d’un cran dans ce sixième roman en tendant le crachoir à de joyeux misanthropes forts en gueule avec qui on aimerait aller pérorer au bar du coin et en se moquant de l’incestueux milieu québécois de l’édition. Le gentleman baratineur Marc Fisher, dont Tess consulte les ouvrages de type "Écrire un roman pour les nuls" pour mieux leur désobéir, en prend aussi plein la gueule.

Que la paire descende ou pas au Family Inn de Bird-in-Land importera donc finalement assez peu. Tess et Jude iront à la rencontre du monde dans ce chaleureux journal de bord tout croche dont les détours revigorent deux bonnes vieilles vérités: l’intérêt d’un voyage n’a à peu près rien à voir avec sa destination initiale et le charme d’un roman, souvent tout à voir avec ses digressions.

Document 1
de François Blais
Éd. L’instant même, 2012, 182 p.

Document 1
Document 1
François Blais
L’instant même