Charles Bolduc / Les truites à mains nues : La pêche à la truite à Ottawa
En marge de la parution de son deuxième recueil de nouvelles, Les truites à mains nues, Charles Bolduc nous donne quelques conseils de pêche.
C’était peut-être le scotch qui remontait tranquillement son sang. C’était peut-être le plaisir de renouer avec un écrivain sympa après quelques années sans nouvelles. Toujours est-il que le journaliste, emporté par la conversation qui avait atteint sa vitesse de croisière, finirait par se prendre momentanément pour Josélito Michaud. "Apprend-on, en vieillissant, à attraper les truites à mains nues ou y renonce-t-on simplement?" s’entendrait-il demander d’une voix sincèrement préoccupée au jeune trentenaire assis devant lui. La question avait valeur métaphorique, vous aurez compris. "Je pense que c’est sain de renoncer", lancerait Charles Bolduc, avant de lever les yeux au ciel, navré par la banalité de sa réponse. "Tu peux la garder, mais je vais essayer de t’en faire une autre." Deuxième essai: "On ne les attrape pas mieux, ça c’est sûr. On apprend qu’on ne les saisira jamais mieux, mais on apprend aussi que c’est possible de les attraper. Les truites, ça devient un jeu. Parce que le but, ce n’est pas de les attraper. C’est si difficile, les attraper, c’est presque par hasard que ça arrive. Le but, c’est de s’amuser en essayant de les attraper. Peut-être." Long silence puis… gros rire!
Avant de prodiguer ces précieux conseils, Charles Bolduc nous avait raconté, tout en buvant son scotch à petites lampées, avoir presque entièrement mis à la corbeille la tentative de roman que le succès des Perruches sont cuites, charmante et atypique surprise de la rentrée 2006, appelait logiquement. Le Québécois d’origine nous a également avoué, non sans s’amuser de l’ironie de l’affaire, devoir à la défaite de Gilles Duceppe, pour qui il rédigeait des discours, les quelques mois de liberté à Ottawa, "loin des stimulations sociales et culturelles", qui lui ont permis de compléter peinard son nouveau recueil, Les truites à mains nues. Trente "petites bulles de situations" esquissant, avec le même sens du flash fulgurant qui traversait son premier livre, une poétique du temps dilaté (lire "Il ne restera plus grand-chose de nous", ou comment survivre à un trajet Allo Stop).
Une poétique de la lubie concrétisée aussi, c’est un peu la nouveauté. "J’aime la fantaisie d’un Richard Brautigan", explique le nouvelliste en pointant "Comme des chansons dans une langue inconnue" (un couple prend la décision de cesser de manger) et "Plusieurs centaines de Michel Tremblay" (un homme entreprend de recenser tous les Michel Tremblay). "Là où Les perruches… était très intimiste, il y a dans Les truites… une exploration du rapport de l’individu au collectif, et c’est sans doute teinté par mon expérience avec la politique", avance-t-il.
En zoomant sur ses personnages jusqu’à ce que ne soient discernables que ces "moments de clarté absolue" qui sourdent du quotidien, Bolduc abolit la mollesse téléromanesque de l’anecdote pour l’anecdote. "Mon style est lyrique par moments, c’est vrai, bien que j’essaie de refréner mes ardeurs en les dosant avec un peu de narratif. Mais je me suis toujours assez consciemment tenu loin du narratif, parce que j’ai l’impression que c’est du ciment qu’on ajoute aux moments d’intensité émotionnelle, aux moments où on est vraiment interpellé en tant que lecteur. C’est ce qui m’intéresse: arrêter ces moments-là et en explorer la richesse."
Sur ce, bonne pêche.
Les truites à mains nues
de Charles Bolduc
Éd. Leméac, 2012, 144 p.