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Marie-Christine Arbour : Chaos originel

Marie-Christine Arbour signe un nouveau roman habité d’une tension constante, où le rêve illusoire d’un ailleurs plus "authentique" se frappe à une réalité aux allures de cauchemar.

À l’aube de la quarantaine, Leucid quitte l’ombre rassurante de la boîte de nuit où il travaille pour un périple d’aventure qui le mènera jusque dans la jungle équatorienne. Au sein d’un petit groupe comprenant un couple de fonctionnaires, une ancienne top-modèle, un champion d’échecs et un étudiant, guidé par le valeureux Michel et par l’Indien Bolivar, le barman branché conscient que "la paix ne suffit plus" met entre parenthèses son petit confort pour intégrer une nature vierge si dense qu’aucun rayon de soleil n’y pénètre. Rolex au poignet et jeans ajusté, Leucid s’offre le luxe d’un dépaysement.

Un an à peine après l’étonnant Drag, qui revisitait les rôles sexuels à travers la relation entre une androgyne et un travesti, Utop de Marie-Christine Arbour nous plonge dans un univers où mensonges et faux-fuyants développés dans le monde peinent à subsister. Son héros, doté d’une certaine ambiguïté avec son physique avantageux qui plaît tant à sa clientèle féminine que masculine, est une sorte de romantique "lucide et usé". Écrivain à ses heures, il retient de son expérience une série d’"apophtegmes" (qui ne sont pas sans rappeler le propre style de l’auteure) qu’il note méticuleusement dans un carnet de voyage…

Intéressant protagoniste et narrateur que ce Leucid. Parvenu jusqu’ici à vivre hors de la "hiérarchie masculine du plus fort", il est confronté dans la jungle aux lois séculaires de la nature qui en appellent à la puissance virile des mâles. Hors de son milieu habituel, celui de son bar et de la piste de danse où résonnent The Doors (nous sommes en 1979), Leucid mesurera également l’écart culturel entre les siens et les autochtones d’un petit village où il séjourne. Un écart si gigantesque qu’il n’appelle aucun rapprochement, les bébés singes y étant plus faciles à apprivoiser que les frères humains, noyant les dernières illusions.

Dans un monde écartelé entre splendeur et terreur, l’écriture incantatoire d’Arbour agit comme un révélateur. Celui d’un rapport au temps modifié, d’une misère sexuelle et de défaillances corporelles provoquées par le brusque changement d’écosystème. L’humilité étant forcée dans Utop par des blessures qui prendront du temps à cicatriser, ses personnages y apprennent l’art de "savoir perdre avec grâce" hors de leur patrie. "Mon bonheur éduqué s’est buté au chaos", notera Leucid entre une chasse aux caïmans et une pêche au piranha. Ni gagnant ni perdant, au final, une fois achevé ce voyage au "pays du non-retour".

Utop
de Marie-Christine Arbour
Éd. Triptyque, 2012, 209 p.

Utop
Marie-Christine Arbour
Triptyque