Marie Hélène Poitras / Griffintown : Il était une fois dans l’Ouest
Suivons Marie Hélène Poitras dans le Far Ouest pour un pèlerinage sur les lieux qui ont inspiré son nouveau roman, Griffintown.
"Regarde, il a encore son poil d’hiver", s’émerveille Marie Hélène Poitras en caressant la croupe d’un splendide percheron. Nous en sommes au premier arrêt d’une visitée guidée de Griffintown, à Montréal, les pieds plantés dans le crottin de l’écurie à laquelle l’écrivaine et journaliste s’est rapportée pendant deux étés comme cochère. Les yeux colorés par une authentique et inentamable passion, elle fait le tour de la majestueuse bête avant de plonger son regard dans le sien. "Les chevaux de calèche, ce sont les plus fins, les plus doux. Ce sont des gros nounours", assure-t-elle, sans s’émouvoir de l’odeur de merde qui prend à la gorge.
À quelques mètres de là, une affiche géante érigée sur le bord de la route fait miroiter une vie enchanteresse aux futurs acquéreurs de condos qui coloniseront bientôt – "gentrification" oblige – le décor "sergioleonesque" s’étalant pour l’instant devant nous.
C’est donc en état de constante stupéfaction que l’on effectuera ce pèlerinage sur les lieux qui ont inspiré Griffintown, troisième livre (si l’on excepte la série jeunesse Rock & Rose) de Poitras qui n’est pas, visiblement, qu’un travail d’imagination. Ce rude et poussiéreux Far Ouest existe pour vrai.
"Zola est allé observer le monde des mines avant d’écrire Germinal. Moi, j’ai été plongée, à cause des hasards de la vie, dans cet univers exceptionnel, que j’ai pu scruter à ma guise", se souvient-elle alors que l’on arpente en voiture le Vieux-Montréal, où les cochers viennent quérir les clients. "J’ai passé mes deux saisons à recueillir des histoires."
"Tu vois la plaque de métal sur la chaussée, là? C’est sur une plaque du genre que le cheval de Marie s’emballe dans le livre. Ça m’est arrivé à moi aussi", poursuit celle qui, à l’instar de son alter ego romanesque, a d’abord, jeune fille, fait de l’équitation sans se douter qu’elle fraierait un jour avec la faune bourrue, mais solidaire dans l’épreuve, de la calèche. "J’ai longtemps appelé le personnage autrement dans le manuscrit. Je lui avais même mis les cheveux roux, pour éviter qu’on nous confonde. Finalement, elle se nomme Marie, pas Marie Hélène. Je pense que les lecteurs vont comprendre que c’est, au fond, une oeuvre de fiction."
Portrait, western romance, thriller sociopolitique; l’auteure confie avoir longtemps jonglé entre ces différentes perspectives avant de renouer avec le microcosme qu’elle avait déjà embrassé dans La mort de Mignonne et autres histoires. Pour finalement incorporer tous ces ingrédients à son "western spaghetti sauce moderne", au coeur duquel rôde constamment la Faucheuse. "J’achalais tout le monde avec mes histoires de cochers depuis des années sans savoir comment les lier. Comme je lis beaucoup de polars, je me suis dit que ça fonctionnerait peut-être si je tuais un homme de chevaux dès le début. Je pense qu’effectivement, ça installe une tension", explique-t-elle plus tard, attablée à La Chic régal, taverne ayant servi de modèle à l’Hôtel Saloon du livre.
"C’est étonnant, et enthousiasmant, de voir qu’il y a une partie de notre territoire qui n’avait pas encore été nommée en littérature, et qu’elle est à côté de chez nous. C’est très américain, cette volonté de nommer les lieux pour se les approprier. Dans le premier tome de sa Trilogie de la frontière, Cormac McCarthy, que je cite en exergue, explore ce rapport-là à l’instinct, à l’animal en nous, au territoire. C’est ce que le cheval personnifie aussi dans Griffintown. Je ne voulais pas juste dire: regardez, il est donc beau, je l’aime ce cheval."
De retour à bord de la Poitras-mobile qui se dirige tranquillement vers la lisière séparant le Far Ouest du reste du monde, la conductrice ralentit et pointe un stationnement. "Je faisais croire aux touristes européens qu’on y avait déjà élevé des bisons." La littérature et la calèche ont décidément plus en commun qu’on le soupçonnait.
Griffintown
de Marie Hélène Poitras
Éd. Alto, 2012, 216 p.