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Ça goûte donc bon, de la mayonnaise

Éric Plamondon connaît le secret de la mayonnaise.

Je me suis réveillé en nage, comme un enfant émerge d’un cauchemar de loup-garou. Dans le rêve dont je venais d’être expulsé, Éric Plamondon et Richard Brautigan participaient à l’émission du Cuisinier rebelle. Un épisode sur la préparation d’une mayonnaise parfaite. Pendant que Plamondon et l’animateur tatoué comparaient leurs tournemains, Brautigan, écrivain américain mythique, confiné à l’extrémité gauche du cadre, éclusait whisky par-dessus whisky.

Dernière scène vue: avant de passer à une pause publicitaire, Monsieur Rebelle requiert la collaboration de Brautigan afin d’élire ze meilleure mayo. Le dernier des beatniks obtempère et trempe son pif aquilin dans chacun des bols, avant que son visage ne se fende d’un sourire équivoque, identique à celui qu’il affiche sur la couverture de son roman L’avortement.

Composé de 113 fragments, Mayonnaise, deuxième tome de la trilogie "1984" d’Éric Plamondon (Hongrie-Hollywood Express avait l’an dernier libéré Johnny Weissmuller des limbes du showbiz), est d’abord l’histoire de Gabriel Rivages et de son obsession pour Brautigan, miroir de ses propres carences et de ses propres angoisses. Mayonnaise est aussi une jubilatoire manière d’envisager la narration comme un incessant zapping entre différents sujets (la pêche, le divorce des parents de Rivages, l’invention de la machine à écrire, les menus détails de la vie de Brautigan, son suicide), différentes époques et différents genres (un bout de poème peut suivre une revue de presse). Avec la désinvolture des chefs maniaquement minutieux, Plamondon découpe et ordonne des fragments dont la complémentarité n’est pas toujours d’emblée évidente. Et pourtant… Josée di Stasio parlerait sans doute d’une "cuisine de produits".

Zapping entre différents sujets, donc, mais toujours ce ton quasi encyclopédique, qui répudie tout lyrisme. Si bien que lorsque Plamondon s’abandonne à un élan vaguement émotif, l’effet saisit: "Sur Internet, j’ai trouvé un exemplaire de La pêche à la truite en Amérique dédicacé de la main de Brautigan qui date de 1971. Il est à vendre pour sept cent cinquante dollars. C’est bien mieux qu’une télé couleur."

Pour ma part, j’ai trouvé le lendemain de ma nuit d’insomnie, au hasard d’une visite chez un libraire confus ou fantaisiste, un exemplaire de Mayonnaise ensardiné dans la section "livres de cuisine", entre la bonne bouille de Jamie Oliver et le sourire Pepsodent de Ricardo. Pas de farce!

Mayonnaise
d’Éric Plamondon
Éd. Le Quartanier, 2012, 214 p.