Jean-François Caron : Territoires oubliés
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Jean-François Caron : Territoires oubliés

Jean-François Caron confronte différentes voix, préoccupations et époques dans un second roman habité par une grande force narrative: Rose Brouillard, le film.

Avec une mémoire "menacée des plus graves disparitions", Rose Brouillard survit dans son logement de la rue Drolet grâce aux soins d’une voisine, "sorte de belle-soeur du quartier Villeray" qui lui prépare ses repas, fait son ménage et lui procure les soins d’hygiène nécessaires au maintien de sa dignité. Mais depuis quelque temps, Rose reçoit la visite d’une autre femme, celle qu’elle nommera "Dorothée l’Africaine", qui espère pouvoir tourner un film sur cette insulaire tombée dans l’oubli depuis son exil dans la métropole où elle a vécu penchée sur les machines à coudre des manufactures. À force de persuasion, Dorothée parviendra à amener Rose "là où le fleuve et l’horizon la reconnaîtront" et où elle pourra enfin lui raconter son histoire.

Le premier roman de Jean-François Caron, Nos échoueries, se consacrait déjà à la parole de ceux qui l’ont perdue (ou que l’on n’écoute plus) à travers la figure d’un jeune homme retourné dans son Bas-du-Fleuve natal, destinataire de tous les potins, de toutes ces histoires de village qui n’intéressent plus personne. Dans Rose Brouillard, le film, l’écrivain renoue avec une semblable proposition, marquée ici par l’urgence (devant la mémoire défaillante de cette petite vieille) et fermant la boucle d’un destin secoué par un drame originel qui nous sera révélé à la toute fin du roman.

Une belle route neuve reliant enfin Sainte-Marée de l’Incantation au reste du pays, ses habitants y attendent les effets d’une manne touristique annoncée. Pour bien accueillir celle-ci, force est de "se réinventer", de se construire un folklore, voire une vraie saga locale, afin d’attirer les citadins en mal de légendes. D’où l’importance du témoignage de Rose, fille d’Onile le Veilleur, qui a passé son enfance sur une île au large du village où son père, "briseur de banquise" à qui plusieurs pêcheurs doivent la vie, était chargé de l’entretien d’un phare…

Caron partage la narration entre plusieurs protagonistes du récit (Rose, sa voisine, Dorothée, feu Onile, un touriste en visite…), la déclinant en autant de tonalités différentes, les époques et les générations se chevauchant avec une harmonie toute poétique. Le travail de l’auteur lui-même y est mis en abyme, le conseil municipal ayant embauché un écrivain du nom de Caron, chargé ni plus ni moins d’inventer, de magnifier l’histoire de ce pays perdu au nord du fleuve. OEuvre incantatoire, comme le nom créé de toutes pièces de la bourgade (qui ne pouvait plus se contenter d’un banal Sainte-Marie), Rose Brouillard, le film dévoile de manière frontale le processus même de la création d’un mythe.

Rose Brouillard, le film
de Jean-François Caron
Éd. La Peuplade, 2012, 238 p.

Rose Brouillard, le film
Rose Brouillard, le film
Jean-François Caron
La Peuplade