Daniel Grenier : Jusqu'à preuve du contraire
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Daniel Grenier : Jusqu’à preuve du contraire

Daniel Grenier visite le Québec par de petits trous de serrure et en fait un portrait vérité captivant avec Malgré tout on rit à Saint-Henri.

Contre mauvaise fortune, les personnages de Daniel Grenier s’obstinent à rêver, à rire et à chercher le mystère malgré les ratés. C’est d’ailleurs sous l’adverbe "malgré tout", qui suggère une forme de résistance après la déception, que l’écrivain inscrit son recueil de nouvelles et l’incipit des histoires classées au rang des anecdotes. Celles-ci relatent des faits étranges qui sont survenus dans la vie des protagonistes, comme l’apparition de Michael Jackson dans la rue de Courcelle ou de l’Indien de Radio-Canada dans le film Persona de Bergman. Avec un humour grinçant et une fine dérision, Grenier retourne le réel pour en montrer l’étrangeté puis y revient en déconstruisant les mirages, rendant hommage à l’idée d’Edgar Allan Poe selon laquelle "tout est normal jusqu’à preuve du contraire".

Aux côtés de ces histoires absurdes se trouvent des portraits impressionnistes sous forme de brèves scènes dans la vie d’un danseur, d’un penseur, d’une hipster ou d’une borgne. Celui du séducteur, intellectuel qui se masturbe et crie du Schopenhauer pour se remonter le moral, est particulièrement punché. Des errances moins convaincantes sont consacrées aux clochards de Montréal, alors que les morceaux rassemblés dans la catégorie "Entendu à Saint-Henri" forment un florilège désopilant et jouissif de conversations attrapées au vol dans une langue vernaculaire qui additionne les formules crues et les vulgarités, de la "game de God of War même pas savée" au médecin qui découvre le cadavre de son père sur la table d’opération, en passant par l’histoire du gars qui s’est pété le frein du prépuce. Ces morceaux de vérité forment des pages d’un réalisme décapant qui travaille par le détail de la langue avec un sens du rythme très efficace.

La prose multiforme de Grenier cartographie l’identité québécoise par l’oralité, mais aussi par des images-chocs, des scènes de ménage, une étude fine et perspicace de la psychologie et des relations de couple. Le nouvelliste maîtrise l’art du détail évocateur, de ces micro-événements qui provoquent des guerres, politiques ou conjugales. Même s’ils vivent plusieurs ratages et coups bas, les personnages (souvent des antihéros) ont des vues poétiques ou existentielles du monde sur lequel ils crachent, tout en révélant ses trésors cachés. Le thème de l’immigration est récurrent, mais ce qui lie surtout ces nouvelles tantôt parodiques, tantôt violentes ou poétiques, c’est leur inachèvement. Avec un goût assumé pour la suggestion, l’histoire reste ouverte à de multiples interprétations, ce qui peut devenir frustrant par endroits, mais ouvre surtout les horizons de ce bijou de livre.

Malgré tout on rit à Saint-Henri
de Daniel Grenier
Éd. Le Quartanier, 2012, 254 p.

Malgré tout on rit à Saint-Henri
Malgré tout on rit à Saint-Henri
Daniel Grenier
Le Quartanier