Combustio : Fouilles tentaculaires
Gilles Jobidon entame une valse ambitieuse avec l’histoire dans Combustio, un roman-fleuve où la fiction pénètre la vie de personnages réels.
Amateurs de dépaysement, de grands déplacements et de fables énigmatiques à la manière des Contes des mille et une nuits, éternellement renouvelables, bref, aventuriers de papier qui avez soif de prendre le large, le nouveau roman de Gilles Jobidon saura vous rassasier. Après des oeuvres intimistes, dont La route des petits matins qui lui a valu le prix Robert-Cliche en 2003, des histoires d’amour minimalistes (L’âme frère), Jobidon se lance dans un roman ambitieux. Son livre à tiroirs croise les vies de personnages aussi éclectiques et éloignés qu’une célèbre famille d’artistes de cirque, un couple d’amoureux dans une communauté amish des États-Unis, un boulanger de Londres devenant botaniste, un peintre amnésique trouvé au large de Noirmoutier en France ou les peintres Francis Bacon et Georges de La Tour. La distance entre ces êtres aux destins rocambolesques mais néanmoins fascinants peut sembler trop grande pour qu’ils soient rassemblés en un même livre, mais Jobidon tisse habilement les liens de cette courtepointe érudite et complexe où une sensibilité et une grâce à fleur de peau réussissent à s’extraire de l’imposante charpente. Au final, les scènes les plus réussies de ce roman touffu sont celles où l’on entre dans la peau d’une petite fille orpheline durant la Seconde Guerre mondiale, dans celle de Louis XIII sur son lit de mort, des peintres célèbres ou des amoureux secrets. La beauté du voyage autour du monde atterrit dans l’intimité.
La prose élégante, dense et détaillée de l’auteur pèche parfois par excès de descriptions, mais reste limpide, maîtrisée, parfois perçante. Le roman entrelace les pays et les époques sans retenue, s’éparpille et perd parfois de vue l’enjeu central à force d’accumuler les intrigues, comme un viseur qui perd le cap, mais l’ensemble se tient joliment, témoigne d’une grande érudition historique et fait naître de prodigieux tableaux. La peinture est d’ailleurs au centre de cette histoire presque impossible à résumer, où une anthropologue se fait offrir par une vendeuse d’assurances d’élucider le mystère du grand incendie de Londres de 1666 en interrogeant un certain Patrick Sendre, frappé d’amnésie, qui fait converger tous les éléments de l’enquête.
Un peu à la manière des romans tentaculaires d’Umberto Eco qui interrogent l’homme et le monde à travers le prisme de l’histoire et de grands mystères, Jobidon a construit un véritable édifice de savoirs humains, croisant l’anthropologie à la botanique, la peinture, la pâtisserie, le cirque, l’histoire du café, du feu et des assurances. Combustio ressemble de près à la biographie que s’apprête à écrire son héroïne, "un livre à la trame éclatée, construite à la manière dont opère le cerveau, pour qui le présent, le passé et le futur sont les facettes d’une même réalité". Ambitieuse construction qui brille par ses petits morceaux.
Combustio
de Gilles Jobidon
Éd. Leméac, 2012, 318 p.
BRAVO… J’AI ADORÉ CE LIVRE