Wajdi Mouawad : Règne animal
Dix ans après Visage retrouvé, Wajdi Mouawad fait paraître un deuxième roman, Anima, où l’homme est décidément une bête étrange.
Ç’aurait pu être l’histoire d’une vengeance. Un homme rentre chez lui, un soir, et tombe sur le corps sans vie de sa femme, troué de plusieurs coups de couteau, dont certains dans le sexe. L’homme veut retrouver l’assassin, évidemment, et tente de prendre les enquêteurs de court pour imposer sa propre loi…
Ç’aurait pu, mais nous sommes chez Wajdi Mouawad, où toute réalité en cache une autre, et puis une autre. L’affaire ne peut donc pas être si simple. Et puis si Wahhch Debch, l’homme en question, s’introduit dans la réserve de Kahnawake où se trouve paraît-il le tueur, c’est moins pour lui faire passer un mauvais quart d’heure que pour se convaincre qu’il n’est pas lui-même le meurtrier de sa femme: "[…] j’essaie de trouver quelque chose, un visage, une main, sur quoi tout ce cauchemar pourrait rebondir, je ne trouve rien, ou bien je trouve mon propre visage, ma propre main".
S’engage alors une atypique chasse à l’homme, et surtout au passé, à ce qu’il dissimule, à ce qu’il explique du présent. Un passage obligé pour que survive l’anima, le "souffle", et dont sera témoin le règne animal tout entier. Pendant l’essentiel du roman, la narration est en effet confiée à des animaux. Chien, chat, boa, écureuil, araignée, chacun décrira la quête de Wahhch Debch selon son angle de vue, avec une grande empathie pour celui qui pourrait être l’un des siens. Du coup, l’histoire se joue dans la nature, sa fureur et ses bruits, et non au coeur d’une humanité qui évoluerait en parallèle.
Comme souvent, Mouawad nous a dans la durée, par l’amplitude d’un projet qui, dans le détail, repose parfois sur des mécaniques un peu plaquées – cette focalisation "animale" a décidément, au départ, quelque chose de l’exercice de style. Anima, qui nous mène aux lointaines sources d’une violence qui n’a cessé de résonner dans notre époque, n’en finit pas moins par envoûter, nous laissant au bas-ventre une douleur qui ne s’éteindra, et encore pas tout à fait, qu’une fois le livre refermé.
Anima
de Wajdi Mouawad
Éd. Leméac/Actes Sud, 2012, 400 p.