Peste et choléra : L’arche du salut
Patrick Deville offre sa plume à un héros de l’ombre, le scientifique français Alexandre Yersin, dans Peste et choléra, un voyage jusqu’en Indochine aux côtés d’un savant atypique, épris de liberté.
Véritable roman, lauréat du Femina 2012, Peste et choléra s’inspire de la vie de l’entomologiste et découvreur du bacille de la peste qui travailla avec Pasteur, mais n’a rien de la classique biographie historique. Patrick Deville nous raconte bien plus que le parcours d’un homme de science, même s’il s’attarde sur ses recherches l’ayant mené à l’invention d’un vaccin contre la peste, à la découverte du coca-cola et des usages de l’hévéa (à la base du latex), se penchant surtout sur l’histoire et la philosophie d’un homme en mouvement, aventurier solitaire dans la lignée de Livingstone et de Rimbaud, qui préféra l’autonomie à la gloire.
Alexandre Yersin (1863-1943) était voué à croiser l’écrivain, fasciné par l’histoire coloniale et les vies oubliées de ces conquérants et aventuriers omis des livres d’histoire, qu’il découvre au fil de ses propres explorations, lui-même aventureux. Après Pura Vida, consacré au flibustier qui devint président du Nicaragua, Equatoria, sur Brazza, le père du Congo, puis Kampuchéa, mettant en scène le redécouvreur involontaire d’Angkor, au Cambodge, Peste et choléra suit le parcours de ce savant ermite attiré par la vie, animale et végétale, dans ses plus petites manifestations, célébrant discrètement la beauté du vivant.
Grand styliste et observateur minutieux, Deville sait aborder son personnage de manière à nous le faire connaître intimement, selon sa vision du monde, ses questionnements, tout en conservant une narration à la troisième personne, accordant à son récit le souffle et le rythme des romans d’aventures. Depuis Paris, dans le cercle de Pasteur où le jeune Yersin se lasse rapidement de l’esprit des petites bandes et de l’enfermement du laboratoire, l’auteur nous emmène en Indochine, à Nha Trang, dont le chercheur fait son port d’attache et où il fonde un institut Pasteur, sur la route qu’il construit entre l’Annam et le Cambodge, à Dalat, dont il découvre le site enchanteur, et dans ses plantations d’hévéa. En retrait du grand monde, l’explorateur préfère la liberté aux honneurs et façonne "une petite planète en autarcie, une métonymie du monde, une arche de salut". Et on se dit que grâce à la curiosité de Patrick Deville, ce qui aurait pu rester le trésor d’un seul homme devient celui d’une poignée de lecteurs qui ont la chance de lire ce petit bijou.
Peste et choléra
de Patrick Deville
Éd. du Seuil, "Fiction & Cie", 2012, 228 p.