Michel-Olivier Gasse : Le livre à Gasse
Le bassiste Michel-Olivier Gasse ajoute une cinquième corde à son arc avec Du cœur à l’établi, premier roman aussi rock’n’roll que le son de la vieille Fender Telecaster de Keith Richards craché par les haut-parleurs défoncés d’une voiture en lambeaux.
«Je suis un gars qui retient les histoires que ses amis lui racontent, qui s’en souvient longtemps, souvent mieux que la personne à qui c’est arrivé. J’ai aussi malheureusement tendance à beaucoup me répéter. Ce qui fait que les gars des bands avec qui je joue ont entendu plusieurs des histoires qui se trouvent dans le livre», confie, au sujet de son premier roman Du cœur à l’établi, le bassiste Michel-Olivier Gasse, fidèle partner in crime de Vincent Vallières (qui, avec La toune à Gasse, fixa en chanson, pour l’éternité, le lourd passé d’attendrissant désœuvré de son ami) et musicien estimé dont la bouille de bon vivant casquetté a entre autres pu être aperçue aux côtés de Dany Placard, Chantal Archambault et Sunny Duval.
Il poursuit: «Fondamentalement, il y a beaucoup de vécu dans ce livre, mais assez peu du mien. Je tenais à éviter l’aspect autofiction. J’en ai lu en maudit, des histoires de célibataire dans la trentaine et j’avais envie d’avoir un personnage trentenaire qui n’a pas de problèmes amoureux. C’est l’histoire d’un passage à la vie adulte vécu autrement que par la relation amoureuse. C’est un roman sur l’amitié, parce qu’il est question d’amitié, bien sûr, mais aussi parce que mes amis m’ont nourri pas mal.»
De la péripétie sans arrêt
Manu Camacho, fier membre d’un clan de trois frères logeant tous dans le même triplex, valse entre l’atelier de lutherie où il renippe des guitares, le bar du coin et la chambre de son amie avec bénéfices Lou. Valse aussi sur son vélo avec la fougue d’un Lance Armstrong qui aurait triplé sa dose de stéroïdes, quand un conducteur ennemi des cyclistes le prend en chasse avant d’entreprendre de lui donner une mémorable raclée, dont le sauvera un certain Paré, «l’homme par qui tous les problèmes arrivent», en menaçant le fou du volant à l’aide d’une pagaie. Tenez-vous-le pour dit: c’est seulement l’amorce du roman, et le reste est à l’avenant. «Tu vois, la poursuite en vélo, c’est réellement arrivé à un des gars de mon band [Caloon Saloon]. Quand il m’a conté ça, je me suis dit: « Crisse, ça n’a pas de bon sens, faut que j’écrive une nouvelle avec ça. » Rendu à la fin, j’avais le dude avec la pagaie sur les bras. Il fallait que je fasse quelque chose avec ce grand innocent-là.»
Alors que Paré, champion mauvais compagnon, prendra en otage l’existence de Manu en l’entraînant dans une série de plans foireux fomentés sous influence et de bravades mal avisées, c’est son lecteur (joyeusement consentant) que Gasse prendra en otage en enfilant avec un sens du récit digne du meilleur pilier de bar ses histoires à dormir debout pourtant crédibles. Un héritage du vieux renard du roman noir américain, Pete Dexter. «Dexter, c’est de la péripétie sans arrêt. En lisant mon manuscrit, mon ancienne blonde avait mis ce mot-là en italique, je m’en souviens: péripétie. Dans mon livre, je ne voulais pas qu’on soit juste dans la tête des personnages, je voulais qu’il se passe des affaires.» Et pour s’en passer, il s’en passe des affaires!
Du cœur à l’établi de Michel-Olivier Gasse
Éd. Tête première, 2013, 350 p.