Bruno Lemieux : Sous la lumière du iPod touch
Figure bien connue du milieu littéraire estrien, Bruno Lemieux combat le quotidien qui menace de tout engloutir avec un premier recueil de poésie, Dans le ventre la nuit, écrit en partie à l’aide d’un iPod touch.
Admirable passeur de littérature, Bruno Lemieux se décarcasse dans les marges du milieu québécois du livre depuis si longtemps que son premier recueil, Dans le ventre la nuit, arrive alors qu’on ne l’attendait tout simplement plus. Le professeur au Cégep de Sherbrooke et le père du convoité Prix littéraire des collégiens (qui célébrait cette année son dixième anniversaire: clap, clap, clap) avaient toujours jusqu’ici pris le pas sur Bruno Lemieux l’auteur, qui se satisfaisait de publier de temps à autre, en catimini, un texte dans une revue de création comme Jet d’encre, Art Le Sabord ou Moebius. «C’est vrai que j’aurais pu publier un livre avant, reconnaît-il. Il y a deux ou trois choses qui m’ont retenu, surtout l’enseignement. Dans l’aventure professionnelle, j’ai développé le Prix littéraire des collégiens qui m’a pris beaucoup de temps. Pendant bien des années, j’ai servi la création des autres plutôt que la mienne. Je savais que je voulais publier un jour, mais je pelletais toujours ce désir par en avant.»
Au Salon du livre de Québec, il y a deux ans, alors qu’il redescend tranquillement sur terre après la remise du Prix («ça me plonge toujours dans une certaine euphorie»), Lemieux croisera Patrick Lafontaine, directeur littéraire aux Éditions du Noroît, qui lui tordra gentiment le bras. Aux textes en vers ou en prose déjà parus en revues et émondés pour Dans le ventre la nuit, Lemieux annexera des poèmes écrits au coucher, à l’aide d’un joujou Apple, afin de constituer son premier manuscrit. «Le printemps et l’été durant lesquels j’ai créé l’essentiel de ce recueil, j’écrivais sur la fonction « notes » de mon iPod touch. Comme l’écran est petit et que les lignes sont courtes, l’appareil a conditionné le format. La moitié des textes a été écrite dans cette interzone qu’est la demi-heure entre la fin de la journée et le sommeil. C’est un peu des instantanés. C’est comme si je développais par écrit la photo de ma journée avec ces textes, au lit, le iPod au bout des doigts.»
Pris dans un harassant corps-à-corps avec les forces mortifères du quotidien, le «je» s’exprimant dans la première partie du recueil cherchera une forme de transcendance à l’extérieur de la ville, à l’ombre des montagnes de ces Cantons-de-l’Est où Lemieux dit s’être enraciné. «Le livre questionne le rapport de l’individu à ce qui l’entoure, explique le poète. Je trouve qu’on a perdu notre rapport significatif avec la nature. Il y a donc, oui, un mouvement de la ville vers la nature, qui peut être corrompue ou salie, mais qui est belle malgré tout.»
Comment faire pour «ensauvager de nouveau / le geste de vivre»? demande-t-on à Bruno Lemieux en citant le fragment résumant le mieux le projet que porte en son sein Dans le ventre la nuit. «Il faut arrêter d’avoir peur et faire les choses comme on sent devoir les faire plutôt qu’en vertu du discours social ou dans le but de complaire au regard des autres.» Arrêter d’avoir peur et faire un premier recueil de poésie, aurait-il aussi peut-être pu dire.
Dans le ventre la nuit
de Bruno Lemieux
Éd. du Noroît, 2013, 75 p.