La Promenade des écrivains : Re-prendre la ville
Avec la Promenade des écrivains, c’est à un geste trop simple que nous convie la femme de lettres Marie-Ève Sévigny: se réapproprier la ville.
Elle pourrait vous raconter Québec pendant des heures… Des jours, en fait, sinon des semaines. Marie-Ève Sévigny dirige depuis 2008 la Promenade des écrivains, une dizaine de parcours qui sillonnent les quartiers de Québec d’avril à octobre. Une occasion d’entendre les éloges que s’attire la capitale, bien sûr, de Lovecraft à Camus, de Morency à Poulin: Québec la belle… Mais toutes ces louanges, franchement, on en a marre, non?
Justement, la mordue rappelle à quel point d’autres notes existent. Elle évoque Alain Beaulieu et ses descriptions du Saint-Roch prérénos, avec des murs troués faisant penser à Sarajevo, puis postrénos, avec pas de pauvres. Jean-Jacques Pelletier, aussi, qui s’amuse de la bohème artistique branchée dans ce qu’il appelle le «complexe d’art total». Elle rappelle encore Jacques Côté, ses images des prostituées lorsqu’elles erraient sur Notre-Dame-des-Anges, à une autre époque.
Les écrivains, assurément, savent se faire autre chose que les chantres d’une ville à célébrer. «C’est sûr que dans la grande majorité des cas, on encense Québec, parce que c’est une ville qui est facile à aimer.»
Mais pas si vite: «La relation d’amour-haine qu’on a avec la capitale, je me demande si ce n’est pas beaucoup lié à notre relation de citoyens de plus en plus difficile à vivre. On est quand même une capitale, toutes les décisions sont prises ici. La ville devient peut-être l’épicentre d’une société un peu malade.»
«Ce que j’aime avec la Promenade, reprend-elle, c’est enlever le vernis et essayer de voir ce qui se passe… retrouver l’âme vivante de la ville. Et c’est ça que permettent de faire les écrivains, dans le fond.»
Si une invitation est lancée, c’est celle de nous réapproprier cette ville, à travers notamment les mots de ceux qui l’ont chantée, et hors des sentiers battus: «Il se trouve qu’on a à Québec un lieu extraordinaire. Je dis toujours aux gens: « Sortez du Vieux-Québec! » De toute façon, il est en train de mourir: c’est Walt Disney, le Vieux-Québec. J’adore ce quartier, mais il est vendu aux Américains maintenant.»
Or, cette (re)découverte, pour celle qui a sa ville à cœur, mais qui a surtout à cœur de l’habiter, passe avant tout par ses quartiers. Là-dessus, la voilà qui ouvre sur le Saint-Sauveur de Roger Lemelin, auquel elle consacre un parcours entier: «C’était la classe ouvrière au début du 20e siècle, et laisse-moi te dire que c’était trash en maudit. Là, on est hors de la carte postale…»
Peu de risques que vous vous ennuyiez avec elle, dans ses parcours qui se déploient en somme comme autant d’occasions de se réapproprier la «facture visuelle et émotive de la ville». Cette ville qui, ajoute-t-elle, a payé il y a quelques années un spécialiste à lunettes noires pour qu’il lui dise ce qu’elle était: «Mais sur la rue, n’importe qui va être capable de te la donner, l’image de marque de Québec. Ce sont des mots: les mots « escaliers », « Haute et Basse-Ville », « arbres », « fleuve », « vent ». Ce sont des mots qui reviennent et qui font partie de notre identité.»
Du 11 mai au 27 octobre
En divers lieux
Info sur promenade-ecrivains.qc.ca