Patrice Desbiens : Les abats du jour
Lire un nouveau recueil de Patrice Desbiens, c’est plus que jamais relire d’un seul coup tous les précédents recueils de Patrice Desbiens. Dans Les abats du jour, son cinquième à L’Oie de Cravan, petite maison qui traite avec la déférence qu’elle mérite cette poésie de jazz et de sueurs en l’installant dans l’élégant écrin d’un joli livre, le cascadeur de l’amour sarcle et resarcle les mêmes obsessions, qu’il s’agenouille sur la tombe des grands ignorés des médias de masse (Bansuri blues, pudique hommage à la flûtiste Catherine Potter) ou vomisse l’indécente assurance des puissants.
Perfectionné en 1981 dans L’homme invisible / The Invisible Man, le procédé du poème offert en version originale anglaise et en version française, caustique doublage permettant au Franco-Ontarien de mettre en lumière la schizophrénie linguistique de ce pays, reprend du service sans perdre de sa sournoise force de frappe. Fidèle à lui-même, le pape de la mise en abyme garde l’œil sur la poésie accidentelle du décor (le texte On the Road va comme suit: «6:10 AM // Accident mortel à / La Rédemption») et cabotine joyeusement (il n’y a personne comme Desbiens pour dire dans un même vers l’infini ridicule et l’infinie nécessité de la poésie).
À l’instar de Woody Allen, Patrice Desbiens a la sagesse de ne pas se mesurer aux grands monuments de son œuvre, parmi les plus importantes au Canada, mais continue de gosser à la mitaine, en mode mineur, des poèmes innervés par la tendresse bourrue d’un indéfectible vieux chum du genre humain. Éd. L’Oie de Cravan, 2013, 74 p. (D. Tardif)