Marc-Antoine K. Phaneuf : Listomania
Avec Cavalcade en cyclorama, l’iconoclaste Marc-Antoine K. Phaneuf déverse dans le noble réceptacle de la poésie le démentiel flot de ses pensées.
Son livre s’ouvre sur le mot début et se termine quelque 70 pages plus tard par le mot fin. Ce qui se trouve entre ces deux jalons? Une longue liste ininterrompue de noms de vedettes ou de remarquables inconnus, d’événements marquants ou pas, d’objets, de jeux de mots puérils, d’expressions vernaculaires, de titres d’œuvres obscures ou populaires, etc. Marc-Antoine K. Phaneuf déverse (pour ne pas dire vomit) sur les pages de Cavalcade en cyclorama le flot de ses pensées, levant le voile par le fait même sur la singulière électricité qui chauffe à blanc ses synapses. «Les gens se promènent dans ma tête, dans mes références à moi», résume-t-il.
Extrait tiré (presque) au hasard? «[C]asser des objets, les Rolling Stones qui crissent une télé par la fenêtre du cinquième étage de leur hôtel, Kurt Cobain qui détruit sa guitare à la fin d’un show, The Who, « My generation », la version de Patti Smith et John Cale, de la basse distorsionnée, la voix de Tom Waits, « Innocent When You Dream », le conte de Noël de Paul Auster, Brooklyn Follies, un titre trop ironique pour une œuvre comme Requiem for a Dream (traduit par Retour à Brooklyn), un concours télévisé, The Price Is Right, Bob Barker, son long micro, […]»
Voici donc un livre hors normes, vous l’aurez compris, propre à provoquer une syncope chez les amis de la tradition pour qui ce poème exempt de toute trace de lyrisme n’a rien à voir avec la vraie de vraie poésie. «Pour moi, c’est de la poésie, dans la mesure où c’est un jeu avec la langue et avec les références», plaide K. Phaneuf, dont la nomination au prix Émile-Nelligan pour Téléthons de la grande surface (inventaire catégorique), un recueil de listes tout aussi iconoclaste, en avait fait sourciller plusieurs en 2008. «La poésie, c’est le plaisir de jouer avec le texte, de le décloisonner, de réinvestir la forme.»
Entre le trivial et l’existentiel, l’érudition et la bêtise, l’overground et l’underground, Marc-Antoine K. Phaneuf butine et multiplie les liens saugrenus ou inattendus, mû qu’il est par une hilarante logique qui frôle parfois la démence. D’aucuns pourront lire dans cette logorrhée où s’entrechoquent sans avertissement culture du bas et culture du haut l’influence d’Internet et de ses hyperliens sur la pensée. «J’ai un plaisir à confronter des trucs très pointus en art contemporain avec des trucs très mainstream, à tout mettre sur le même pied. Tant mieux s’il y a des gens qui découvrent Cooke-Sasseville [duo de sculpteurs et installateurs québécois] par le biais de mon livre, parce que je l’ai inséré entre deux éléments qui leur semblent intéressants.»
Persillé de ce genre d’informations risibles qui obnubilent les geeks, Cavalcade en cyclorama prend parfois les allures d’une encyclopédie de l’inutile. Marc-Antoine, es-tu un geek? «Le geek a constamment besoin de parler de trucs qui n’intéressent personne, mais il n’est spécialiste habituellement que d’un sujet. Moi, je pige à gauche, à droite. Je suis peut-être plusieurs parcelles de geek branchées ensemble. C’est vrai qu’il y a un paquet d’informations dans Cavalcade en cyclorama qui n’auraient jamais dû se retrouver dans un livre.» Et c’est tant mieux!
Cavalcade en cyclorama de Marc-Antoine K. Phaneuf Éd. Le Quartanier, 2013, 74 p.