Jérôme Pruneau / Il est temps de dire les choses : Dire l’invisible
Le milieu artistique québécois est-il figé dans une représentation de la réalité blanche, nord-américaine? Voilà la question que pose l’ethnologue et directeur de l’organisme Diversité artistique Montréal (DAM) Jérôme Pruneau dans son livre Il est temps de dire les choses, un essai frappant sur la diversité culturelle – ou plutôt, son absence – dans le milieu artistique et culturel québécois, de la télévision au théâtre, en passant par la musique et la danse.
Bien établis dans le milieu artistique et culturel, l’ethnocentrisme et le protectionnisme semblent faire la loi et l’ordre, de manière bien ordinaire. Alors que le mois dernier, aux États-Unis, Viola Davis devenait la première femme noire à remporter un prix Emmy pour un premier rôle dans une série dramatique, une question persiste, soulevée par Jérôme Pruneau, directeur de Diversité artistique Montréal (DAM), et auteur de l’essai Il est temps de dire les choses, à paraître le 7 octobre: pourquoi les arts et la culture, au Québec, font-il figure de cancre de la diversité?
Par de mauvais réflexes, par une indifférence insidieuse, la télévision québécoise, la scène, la musique manquent de prise de risque, selon Jérôme Pruneau. Si DAM a pour mission de «promouvoir la diversité culturelle dans les arts et la culture en favorisant la reconnaissance et l’inclusion de tous les artistes et des pratiques artistiques», c’est aussi l’un des objectifs qui traversent l’essai de son directeur. «Ouvrons les yeux, acceptons la réalité. Et à partir de là, qu’est-ce qu’on fait? Arrêtons de regarder l’autre comme on le fait aujourd’hui, toujours à côté, alors qu’on a des discours sur l’identité, sur le pays, le vivre-ensemble.»
Alors que le Conseil des arts de Montréal et le Conseil des arts et des lettres du Québec se montrent réceptifs et agissent pour une culture de la diversité, les associations professionnelles et l’industrie, elles, stagnent, selon Jérôme Pruneau. Outre la lourdeur administrative et la non-reconnaissance des carrières construites et diplômes reçus à l’étranger, un protectionnisme et une indifférence sévissent, créant un ethnocentrisme artistique, selon l’auteur. «On n’a pas eu le réflexe, au fil des années, de prendre en considération un nouveau paysage et de l’inclure», explique Pruneau, se référant à l’Union des artistes et à ses membres.
Le vocabulaire de la diversité semble aussi poser problème: «On ne sait pas comment la nommer, on ne sait pas comment s’y prendre. On préfère ne pas en parler. Plus on nomme, plus on catégorise. Je suis à la tête d’un organisme qui s’appelle Diversité artistique Montréal et je le dis souvent: j’aimerais disparaître! J’aimerais qu’on soit un organisme qui aide tous les artistes québécois, point. L’inclusion, elle sera réalisée quand on ne nommera plus la diversité.»
Une culture de la diversité
Misant sur une culture de la diversité, Jérôme Pruneau explique que, désormais, «la diversité, c’est nous autres, c’est tous les gens qui vivent au Québec et qui souhaitent construire une société juste et égalitaire: on s’inclut tous, on travaille tous et on est une culture de la diversité. Et là, on va peut-être arriver à changer des choses, tranquillement».
Pour y parvenir, l’auteur prône un milieu des arts qui favorise le processus d’identification de tous, permettant ainsi le sentiment d’appartenance, sans lequel la participation à une société est impossible. Véhicule de diffusion et de dialogue par excellence, les arts et la culture offrent des occasions d’échange essentielles. «Si deux musiciens montent sur scène, ils n’ont pas besoin de se parler, de savoir s’ils sont blancs ou noirs, ils vont jouer et faire de la musique, lance en exemple Jérôme Pruneau. Il faut qu’on soit un moteur, qu’on montre cette ouverture-là, [qu’on sorte] de ce protectionnisme-là.»
Le rôle de l’industrie
Et force est de constater qu’une question s’impose: l’industrie sous-estime-t-elle le public? «J’en suis convaincu!, lance avec assurance l’auteur. Ça manque de prises de risque! Ils sont sûrs qu’avec Antoine Bertrand, il y a les guichets qui vont être fermés. Mais on l’a vu en France avec Intouchables et Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?, même si c’est très cliché dans ce dernier cas, ç’a fait un carton car les gens se reconnaissent. Et il y a tout un marché!»
Pour Jérôme Pruneau, le même son de cloche s’impose du côté des diffuseurs qui cherchent à renouveler leurs publics: «L’image que l’on se donne de soi, elle est blanche et francophone. Tant que cette image est là, il y a toute une frange de la population qui ne marchera pas. À Montréal, c’est une personne sur deux qui est issue de la diversité. Il faut se réveiller! C’est sûr qu’on me sort toujours l’argument des régions, mais c’est pareil, ils ne sont pas reclus dans le bois: ils ont la télé, internet. C’est une question de mentalité, il faut avancer, quoi!»
Un changement de paradigme s’impose donc, dans le milieu des arts et de la culture, au Québec, pour rattraper un certain retard et évoluer vers une véritable culture de la diversité, quasi normalisée et essentielle, pour refléter les nouvelles réalités artistiques locales.
Il est temps de dire les choses
Éditions Dialogue Nord-Sud
Collection Coup de gueule
152 pages
En librairie le 7 octobre