On ne nous dit jamais tout
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On ne nous dit jamais tout

Si on la perd, s’amorce alors une infatigable quête. Si on émigre, elle s’étiole, du moins sur les premiers milles. Si on croit l’avoir enfin trouvée, émergent immédiatement les différences et les heurts avec ceux qui, croit-on, la partagent. Si elle est assumée, surgit l’acceptation; on oublie alors le rejet… jusqu’au prochain choc. Quand on l’a, qu’elle ne nous a pas échappé, on la tient pour acquise à jamais.

L’identité!

Vachement compliquée, l’identité!

Cette question, au Québec peut-être plus qu’ailleurs, fait débat depuis longtemps puisque, au départ, quelques peuples couchent dans le même lit. Imaginez quand viennent se lover d’autres cultures dans l’espoir de trouver un peu de cette chaleur perdue en leur terre d’origine.

Je n’aurais pas pensé parler de déracinement, d’acceptation, d’inclusion, d’intégration si je n’avais pas récemment ouvert deux livres qui, chacun à leur façon, traitent de la chose. D’abord, ce bouquin d’Akos Verboczy au joli titre, Rhapsodie québécoise: itinéraire d’un enfant de la loi 101, dans lequel il raconte son arrivée au Québec au milieu des années 1980 et son parcours. Puis, le magnifique ouvrage de Dany Laferrière, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, fiction qui fait, au profit d’un nouvel arrivant, l’autopsie d’un Québec pas toujours rose et qui dévoile les crises existentielles qui attendent l’immigrant.

Étrange, parce que ces bouquins m’ont forcé à amorcer un voyage dans le temps. Je m’y suis vu, un peu ici, un peu là, comme quiconque vient d’ailleurs physiquement et culturellement. Dans mon cas, pourtant, je n’ai vécu ni déplacement ni exil. J’avais laissé le plus pénible à mes parents, à ma sœur, à ma famille qui, comme la plupart, a fui la misère d’un pays détruit par la guerre vers un monde meilleur. Parce que comme l’écrit Verboczy, «le candidat à l’immigration ne cherche qu’une chose: améliorer sa situation».

Sûr qu’il y a une différence entre naître sur la terre promise et y arriver enfant. Les perceptions ne sont pas les mêmes. À ma naissance, je n’avais pas de passé. Vous riez? Vous ne devriez pas. C’est lourd aussi. Rien à regretter. Pas de nostalgie. Les premières années, par protection ou tout bonnement parce que c’était ce qu’on connaissait, j’étais gardé sous une bulle: je vivais italien, je parlais italien, j’aimais italien. J’étais Italien, donc pas encore Québécois. Et puis un jour, vers l’âge de trois ou quatre ans, on a levé la cloche de verre qui me protégeait, et j’ai découvert le monde. Disons plutôt la singularité. La différence.

Pensons aux 25 000 réfugiés qui arriveront au Canada, dont 7300 au Québec. Le jeune Syrien traversera les mêmes chemins, rencontrera les mêmes écueils, prendra conscience de sa singularité. Il devra apprendre le sens du mot intégration. Ça sera plus difficile, voire peut-être impossible pour son aîné, puisque ce dernier devra penser aux siens plus qu’à lui-même: travailler pour se loger, nourrir sa famille, faire étudier ses enfants. Souvent, il devra même partager son logement pour respecter les échéances de fin de mois.

Le jeune, lui, se bagarrera dans les ruelles et les cours d’école des milieux populaires où il évoluera pour éviter qu’on piétine son orgueil et sa fierté.

Dans la douleur que véhicule la différence, comme le petit Italien d’antan, le petit Hongrois ou le petit Haïtien, dans le même étau, il devra maintenir en place le respect à sauvegarder, la différence à apprivoiser et la langue à maîtriser. Parce que, comme l’écrit Akos se rappelant son enfance, «le Québec est le seul endroit sur la planète où parler français n’était pas prestigieux».

En émergeant de sa bulle de verre, il devra combattre une xénophobie qui est davantage le produit de l’ignorance que du racisme. Parce que le Québécois, quoi qu’en disent certains, n’est en rien raciste. Il devra donc se dévoiler et s’ouvrir à un univers complexe, parer les coups et décrypter les codes.

Quand j’étais petit, par exemple, dans les années 1960, manger une pêche ou un artichaut faisait de moi un être différent, un étranger, parce qu’André, avec qui je jouais tous les jours, n’en avait jamais vu. «Qu’est-ce que tu manges?» Je m’en souviens comme si c’était hier.

«Une pêche», lui ai-je répondu

«Tu veux goûter?»

Il a aimé.

Aujourd’hui, tout le monde va au marché Jean-Talon, l’aristocratie culturelle se vante d’habiter ou de fréquenter La Petite Italie. À l’époque, ce n’était guère comme ça. Je rêvais de m’appeler François Duval et d’aller tout bonnement au Steinberg de la rue Saint-Zotique.

Et il y a l’éternel rêve du retour que caresse l’immigrant de la première heure. Mais ce n’est qu’un rêve. Parce que si les lieux demeurent (La Petite Italie en est la preuve), les cultures, elles, changent et évoluent. D’où son déracinement, voire sa perte de repères. Il est devenu sans s’en apercevoir l’homme de nulle part. 

Le fils, lui, pendant ce temps, a fait sa place; il a décodé sa nouvelle société, combattu d’un même front la gêne et la honte, deux menteuses. Il a appris la langue, s’est intégré, a défini son identité, et ce, sans forcément oublier ses racines.

Comme mon père qui les abhorrait, il a fui les ghettos. Tiens, c’est fou comme cette répulsion naturelle m’a aidé à devenir ce que je suis, à savoir où je vais, sans jamais oublier d’où je viens.