Mariam Petrosyan : La maison dans laquelle
Il y a de ces livres dont on ne se remet pas. Leurs univers sont trop vastes, leurs personnages trop vrais, leurs lieux trop réels. On s’y perd avec plaisir, parfois difficulté, mais toujours avec curiosité et appréhension. Ils deviennent rapidement bien plus qu’un exutoire; plutôt quelque chose comme un rendez-vous. On peine à penser à autre chose et chaque moment de lecture frôle la délectation. La maison dans laquelle, le premier et unique roman de l’auteure russe Mariam Petrosyan, fait partie de ceux-là. Une maison dans laquelle l’Extérieur prend toujours une majuscule, où rapidement votre prénom tombe pour un sobriquet et où les murs vous dévoilent une mythologie bien singulière, encore devez-vous désirer vraiment la connaître. Un pavé étrange et dérangeant, qui percute et fascine le lecteur avec maestria.
Ce manuscrit n’était pas voué à l’édition, il fut écrit au hasard, par nécessité, bien avant sa publication en 2009. Depuis, jamais l’auteure ne s’est remise à l’écriture, comme si tout ce qu’elle avait à offrir se retrouve là, dans cette brique de près de mille pages. Et ça, on peut le croire. La maison est une institution, peut-être un orphelinat, un pensionnat, une école spéciale, mais elle ne sera jamais baptisée autrement que la Maison. Y errent des enfants et des adolescents, tous singuliers d’une façon ou d’une autre, tantôt aveugles, tantôt colériques, souvent en fauteuil. Ils se baptisent de surnom, se font violence, nomment leur dortoir, créent des clans assez hétérogènes et répondent aux Lois de la maison. Mais surtout, ils craignent leurs 18 ans, car c’est là que tout cesse, c’est à ce moment bien précis que la maison les met à la porte.
On pourrait parler de Fumeur, le renégat du groupe des Faisans, de l’Aveugle, le chef du groupe 4 qui cache deux couteaux, ou encore de Sauterelle, cet enfant sans bras arrivé à la maison à une autre époque. Mais ce serait trahir le livre qui contient autant d’histoires que celles qu’on veut bien y voir. Un amalgame habile et efficace de mélancolie, de violence, de cruauté et de candeur, catalysé par la peur de l’ailleurs et de l’autre. En bref, si vous n’avez qu’un livre à lire, faites que ce soit celui-là.