Tout est histoire de cul… enfin presque
Nous avons été critiqués, attaqués, blâmés, dénoncés, incriminés, accusés de tous les maux et de tous les problèmes de la terre, inculpés la plupart du temps par les générations subséquentes, surtout celle qui nous a emboîté le pas et qu’on a baptisée X, telle une génération sans nom, sans identité, inconnue au bataillon.
Sommes-nous vraiment coupables, votre honneur? Il m’est arrivé, à la suite de toutes ces récriminations et de la lecture de tous ces pamphlets qui réclament notre tête, d’avoir envie de crier: «Baby-boomers de tous les pays, unissez-vous». De lever le poing bien haut. De scander: «Arrêtez de nous emmerder». Or ce poing, on l’a déjà assez levé et, après toutes ces années, le garder si haut fait mal au bras et à l’épaule.
Coupables de quoi d’abord?
Jean-Marc Piotte, professeur émérite du Département de science politique à l’UQAM, vient d’écrire un essai des plus instructifs traitant de la révolution des mœurs qui «est le fait des baby-boomers» et de la Révolution tranquille, ici, au Québec, dont ils ne sont pas tout à fait responsables, puisqu’«elle a été animée principalement par des acteurs provenant des mouvements de l’Action catholique à partir et au cours de la Seconde Guerre mondiale».
On se rend compte plus que jamais dans le livre de Piotte que les révolutions s’entrecroisent, mais surtout à quel point le Québec, tout en faisant partie d’un mouvement international, est depuis toujours une société distincte. Je dis distincte parce qu’outre les enjeux des mœurs à l’échelle de la planète, il y avait en plus l’affranchissement du clergé, l’identité nationale, l’éducation, la langue, etc. Dans ce sens, l’ouvrage de Jean-Marc Piotte est une réflexion, un cours d’histoire, portant sur notre transformation sociale autant que sur ce qu’on a appelé les «trente glorieuses». C’est fou comme on oublie vite, probablement est-ce dû à l’âge qui nous a rattrapés, eh oui, même nous.
Alors, coupables de quoi?
D’être nés de plus en plus nombreux au lendemain de la guerre jusqu’à la fin des années 1960? D’avoir inventé le rock’n’roll, la Beatlemania et la minijupe dont certains donnent le crédit à Mary Quant et d’autres à Courrèges? D’avoir admiré Twiggy? D’avoir cessé de danser en couple pour enfin danser seul et libre se privant ainsi quand même de quelques plaisirs démodés? D’avoir été les enfants gâtés du système? D’avoir fait mai 1968 en cherchant sous les pavés la plage? D’avoir pris et occupé tous les jobs ouvrant la porte à la précarité d’emploi? D’avoir laissé derrière nous des dettes et un monde plus pauvre? D’avoir donné à manger au monstre capitaliste? D’avoir engendré ce que certains ont appelé le Baby Bust en raison du faible taux de natalité?
Eh oui! Nous avons fait tout ça.
Coupables, votre honneur!
Mais qu’est-ce qu’on s’est marrés! Et ne me traitez pas d’individu sans morale. Boomer entre les boomers, je reconnais avoir vécu avec mes pairs les plus belles années de l’histoire de l’humanité. Avoir, dans notre soif de liberté, fait sauter la serrure des plaisirs. Avoir expérimenté l’interdit, les mondes parallèles, ceux de Castaneda tout comme ceux de Timothy Leary. Et surtout, surtout, avoir fait exploser les tabous en déverrouillant les cadenas de la sexualité. On parle ici de la vraie liberté, celle qui a affranchi les femmes de l’esclavage «sans être contraintes à la maternité et sans s’assujettir à un homme par le mariage». La liberté qui a débouché sur un féminisme affirmé, surtout chez nous, celui de Québécoises deboutte! avec ce qu’il a eu de bon et de moins bon.
Et comme l’explique Piotte dans son ouvrage, le legs principal des baby-boomers reste justement «la sexualité, la révolution sexuelle que les femmes ont poussé plus loin et qui a remis en question les rapports inégaux […] l’acceptation de l’homosexualité même au point de vue juridique […] aux devoirs préconisés par leurs parents, dit-il, les baby-boomers ont opposé leur droit de vivre librement […] » Voilà l’héritage.
Vous voyez, tout est histoire de cul. Les rêves des baby-boomers se sont donc presque tous écroulés sauf cette liberté sexuelle dont profite toujours les générations subséquentes, X, Y et Z.
Tout est une histoire de cul. Ouais. Nous nous sommes éclatés, faisant du même coup éclater règles et traditions. Bien.
Or nous sommes tout de même coupables. Coupables d’avoir, dans le plus grand paradoxe, prôné une idéologie collectiviste et inventé dans le même élan la société de consommation et le marketing dont nous sommes devenus les premières victimes. Nous avons troqué nos idéaux de solidarité sociale pour un individualisme gangrené, nos joints de hasch pour des grands crus millésimés et nos t-shirts du Che pour une Mercedes de l’année.
Votre honneur, nous plaidons coupables, mais dans un cas, du moins, avec circonstances atténuantes. Et je cite encore notre avocat, maître Piotte, qui s’élève quand X, Y ou Z nous accusent aujourd’hui de nous asseoir sur nos acquis.
«C’est vrai de toutes les générations, plaide-t-il, qui en vieillissant deviennent plutôt conservatrices. Ce n’est donc pas l’effet baby-boomer, malheureusement. C’est l’effet du vieillissement.»
Alors, tout est peut-être histoire de cul… Enfin presque.
« Nous avons troqué nos idéaux de solidarité sociale pour un individualisme gangrené, nos joints de hasch pour des grands crus millésimés et nos t-shirts du Che pour une Mercedes de l’année. »
Non, pas d’accord.
J’ai entendu mille fois ce cliché. Toutes les personnes que je connais qui avaient un idéal de solidarité sociale avant, l’ont encore aujourd’hui et ont passé leur vie à faire de leur mieux pour le défendre.
Les personnes qui ont une Mercedes de l’année aujourd’hui, c’était certainement déjà ça leur idéal avant, même s’ils avaient les cheveux longs et fumaient des joints. Ce n’est pas la longueur des cheveux ou la quantité de drogue qui détermine la profondeur de l’idéal.
« Peace and love », c’était vrai avant, c’est vrai maintenant et ça va rester vrai après.